La révocation par l'Inde de l'autonomie de la partie du Cachemire qu'elle contrôle a provoqué la colère du Pakistan. Cependant, le reste de la communauté internationale reste prudente et rechigne à intervenir. Analyse.
Alors que l’Inde s’apprête à célébrer sa fête nationale le 15 août, le Jammu-et-Cachemire et ses habitants vivent avec le bruit des bottes. Depuis la décision du gouvernement de Narendra Modi de révoquer le statut d'autonomie de cette partie du Cachemire qu'elle contrôle, une chape de plomb s’est abattue sur cette région où les communications sont coupées et les déplacements limités par contrôles et couvre-feux. Cette situation explosive, notamment en raison du passif avec le Pakistan voisin, peine pourtant à susciter l’engagement de la communauté internationale
"Pour la communauté internationale, cette révocation est tout simplement une question de politique intérieure indienne", explique Olivier Guillard, directeur de recherche Asie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), interrogé par France 24. "L'État du Jammu-et-Cachemire est reconnu comme faisant partie de l'Inde. Personne n'en conteste son existence. Et la décision de révocation de l'autonomie ne s'applique pas à l'ensemble du Cachemire, mais seulement à la partie indienne de la région."
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a ainsi simplement appelé, le 8 août, à la "retenue maximale" entre les deux nations voisines, qui se sont partagé le territoire du Cachemire après leur indépendance, et qui depuis se sont livrés trois guerres, dont deux à propos de cette région. Il a fait état de son "inquiétude" au sujet des "restrictions" imposées dans le Jammu-et-Cachemire, "qui risquent d'aggraver la situation en matière de droits humains". Le département d'État américain, s'il assure "suivre de près" la situation, se garde bien de prendre parti, notant que New Delhi a assuré que ses mesures s'inscrivaient exclusivement dans "une affaire interne" à l'Inde.
Pour l’Inde, une affaire domestique
Une "affaire interne", c'était d'ailleurs la justification avancée par la diplomatie indienne au lendemain de l'expulsion de l'ambassadeur indien au Pakistan et la suspension des liens bilatéraux de commerce en rétorsion à la fin de l'autonomie de la province.
"Mes amis, je suis convaincu que nous pourrons libérer le Jammu-et-Cachemire du terrorisme et du séparatisme avec cette forme d'organisation. J'ai la conviction que le peuple du Jammu-et-Cachemire après avoir vaincu le séparatisme, progressera vers de nouveaux espoirs et de nouvelles aspirations", a expliqué le Premier ministre Narendra Modi dans sa première prise de parole depuis la révocation de l'autonomie, qualifiant cette mesure d'"historique".
New Delhi explique que ce particularisme a nui au développement économique du Cachemire, qu'il souhaite intégrer pleinement au reste du pays. Le statut d'autonomie, souligne le gouvernement indien, interdisait notamment à des individus extérieurs au territoire d'y acheter des terrains, d'y investir ou de s'y établir. Un frein au développement économique de la région.
Le Pakistan veut internationaliser la crise
Le Pakistan au contraire réfute cette vision de la crise comme une simple affaire domestique indienne.
Après avoir appelé à combattre cette décision devant le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour pénale internationale, le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, n’a pas hésité à comparer le silence de la communauté internationale à la passivité face à l’Allemagne des années 1930.
"Le couvre-feu, la répression et le génocide imminent des Cachemiris au Cachemire occupé par l'Inde se produit exactement selon l'idéologie du RSS [un mouvement ultranationaliste hindou aux méthodes paramilitaires, NDLR] qui s'inspirait de l'idéologie nazie", a tweeté Imran Khan. "Il y a une tentative de changer la démographie du Cachemire par le nettoyage ethnique. La question qui se pose est : le monde regardera-t-il et se montrera-t-il conciliant comme il l'a été avec Hitler ?"
I am afraid this RSS ideology of Hindu Supremacy, like the Nazi Aryan Supremacy, will not stop in IOK; instead it will lead to suppression of Muslims in India & eventually lead to targeting of Pakistan. The Hindu Supremacists version of Hitler's Lebensraum.
Imran Khan (@ImranKhanPTI) August 11, 2019Cependant, "Le Pakistan a des problèmes d'image à l'international et a du mal à faire respecter ses opinions. […] Il manque de crédibilité", analyse Michael Kugelman, du centre de réflexion Wilson, basé à Washington, interrogé par France 24.
Une partie de l'attentisme international du Pakistan s'explique notamment par l'attitude ambigüe adoptée par le passé par le pays face à certains groupes islamistes. Un soutien que New Dehli a su instrumentaliser contre le Pakistan, notamment après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, et ceux de Bombay en 2008. Face à cela, l'Inde se présente au contraire comme "la plus grande démocratie du monde" en plus d'être la septième puissance économique mondiale, avec les opportunités de marché qui en découlent.
"Les puissances mondiales valorisent leur partenariat avec New Dehli, car l'Inde représente un marché gigantesque. Ils ne veulent pas saborder cette relation", explique Michael Kugelman.
Pour la Chine, "Tout ce qui gêne l'Inde est bon à prendre"
Conscient du manque d'influence de son pays, le ministre des Affaires étrangères pakistanais, Shah Mahmood Qureshi, s'est rendu à Pékin le week-end du 10 août pour plaider sa cause. Il s'est assuré du soutien de la Chine pour évoquer le cas du Cachemire devant le conseil de sécurité de l'ONU.
"Tout ce qui gêne l'Inde est bon à prendre", explique Olivier Guillard. "La Chine et L'Inde sont deux nations voisines et des rivaux stratégiques. Ils ont un passif en matière de conflit frontalier qui s'est achevé par une déroute de l'Inde en 1962. Enfin, la Chine prend fait et cause pour le Pakistan et pour les Cachemiris, car elle se sent impliquée dans ce dossier : une petite partie de la région est sous sa domination."
Attentif au poids diplomatique que peut exercer la Chine, l'Inde a tenu à désamorcer la situation. Le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, s'est également rendu à Pékin pour rencontrer son homologue chinois, Wang Yi, et réitérer la position de son gouvernement.
La décision de retirer au Cachemire son statut spécial d'autonomie "ne constitue pas une nouvelle revendication de souveraineté, ne modifie pas la ligne de cessez-le-feu entre l'Inde et le Pakistan, et ne modifie pas la ligne de contrôle actuelle de la frontière entre l'Inde et la Chine", a-t-il déclaré, renvoyant une nouvelle fois cette décision à une simple affaire domestique.
Des manifestations qui ne feront pas bouger les lignes ?
Depuis la révocation du statut d'autonomie, plusieurs manifestations ont eu lieu au Cachemire, au Pakistan mais aussi dans les capitales et les grandes villes occidentales où la diaspora cachemiri ayant fui le conflit est très présente. Une mobilisation qui pourrait s'intensifier dans la semaine à venir puisque plusieurs groupes procachemiris ont déjà appelé à une grande manifestation devant le Haut-commissariat de l'Inde à Londres pour la fête nationale indienne, le 15 août.
"Les quelques centaines de personnes qu'on a vus devant les ambassades de l'Inde à l'étranger relève du petit format. Il n'y a aucune chance qu'une si petite mobilisation fasse bouger les lignes", nuance Olivier Guillard. On peut s'attendre à ce que la tension perdure entre le Pakistan et l'Inde, que les Cachemiris continuent leurs manifestations. Mais Narendra Modi ne bougera pas. Ce ne sont pas 300 personnes manifestant devant l'ONU qui le feront changer d'avis au regard du large soutien de son électorat indien." Et le directeur de recherche à l'Iris de conclure : "L'Inde ne va pas s'attirer les foudres de la communauté internationale".