Au terme d'âpres négociations entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, un accord de partage du pouvoir a été conclu fin juillet sur la composition du gouvernement. Mais huit mois après la présidentielle, les nominations risquent encore de tarder.
La RD Congo, huit mois après la dernière présidentielle, n'a toujours pas de gouvernement. Félix Tshisekedi, dont l'élection en décembre 2018 a marqué la première alternance démocratique de l’histoire de ce pays d’Afrique centrale, n’a nommé que son Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba. À la présidence, son cabinet, composé d'une centaine de personnes, gère les affaires courantes.
Cependant, le 29 juillet, le Front Commun pour le Congo (FCC) dirigé par Joseph Kabila, l'ancien président, et l’alliance Cap pour le changement (Cach) de Félix Tshisekedi ont rendu public un accord de partage du pouvoir et de répartition des postes ministériels, conclu trois jours auparavant. Après plusieurs mois d’atermoiements et d'âpres négociations, les deux forces politiques ont couché sur le papier les modalités de répartition des différents postes stratégiques du futur gouvernement sur lesquels Félix Tshisekedi voulait avoir un “droit de regard”.
Selon cet accord, le premier gouvernement de Félix Tshisekedi devrait comprendre 65 postes ministériels. Fort de sa majorité au parlement et au Sénat, le FCC prendrait le contrôle de 42 ministères contre 23 pour la formation du président. “C’est un accord de coalition entre des forces qui ne se font pas complètement en confiance. C’était assez compliqué de faire cette répartition surtout pour les ministères régaliens. Cela a été l’un des points qui a d’ailleurs causé le plus de problèmes pendant toutes les négociations” expliquait, mardi 6 août, Sonia Rolley, spécialiste de la RD Congo pour RFI.
Hégémonie du clan Kabila
Si cette répartition respecte les rapports de force au Parlement, dominé par le camp Kabila avec 350 députés sur 485, ce partage du pouvoir sonne comme “une trahison pour les populations congolaises’’ affirme Jean-Claude Félix-Tchicaya, chercheur pour l’Institut de prospective et sécurité en Europe (Ipse), contacté par France 24. “Depuis huit mois, on a assisté à une lutte des classes. L’ancienne classe politique se bat pour rester au pouvoir au détriment des problématiques qui concernent la population, des enjeux sécuritaires ou sanitaires comme la lutte contre l’épidémie Ebola”, déplore-t-il. “Le FCC est une coalition très hétéroclite avec énormément de partis. Et pour maintenir cette coalition, il faut que chacun ait un poste. C’est ce qui justifie la taille de ce gouvernement” analyse Sonia Rolley.
Affaibli, Félix Tshisekedi se console cependant avec les ministères stratégiques des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de l’Économie et du Budget. Les Mines, la Défense, la Justice ou encore les Finances reviennent au FCC de l’ex-chef de l'État dont l’influence politique est encore réelle. “Avec ces ministères, Félix Tshisekedi s’en sort très habilement. Il essaie de sauver son honneur et le parcours de son père Étienne Tshisekedi. Mais de toute évidence, il est enserré par l’hégémonie du clan Kabila”, affirme Jean-Claude Félix-Tchicaya.
L’étape du partage du pouvoir passée, les yeux sont désormais tournés vers la liste des personnalités auxquelles échoiront les différents portefeuilles. “Cette liste est très attendue par les citoyens congolais mais aussi la communauté internationale” explique le chercheur. Mais selon Sonia Rolley, “cela risque de prendre du temps. Parce que du côté de l’alliance Cach, on aimerait bien qu’il y ait de nouveaux visages dans ce gouvernement.”
En mars, deux mois après l’investiture du leader de l’UDPS, l’Église catholique l’avait invité à rompre radicalement avec “les anti-valeurs” de l’ancien régime. Lundi 5 août, plusieurs organisations de la société civile, dont l'Observatoire des dépenses publiques (Odep) et le Collectif 24, ont de nouveau appelé Félix Tshisekedi à écarter “toute personne citée dans différents rapports pour corruption et violations des droits de l’Homme et les personnes faisant l’objet de sanctions internationales”. “La demande de la société civile est tout à fait légitime. Et il est impératif que cette demande soit entendue par les nouveaux dirigeants. Sans quoi, on ne saurait parler de renouvellement, de nouvelle donne. Le peuple congolais veut entrer dans une nouvelle ère politique”, estime Jean-Claude Félix-Tchicaya.
Divisions
Sous pression, le chef de l’État tente de se défaire de l’image peu flatteuse “de pantin” qui lui est accolée. Dans un entretien exclusif accordé fin juin à France 24 et à RFI, le président congolais a démenti être “une marionnette de Joseph Kabila” et a réaffirmé sa volonté de changement et son souhait de mettre fin "aux mauvaises habitudes telles que la corruption, telles que l’impunité.”
Mais fin juillet, lors d’une rencontre qui a réuni les centaines de membres de son cabinet, le président congolais a dû taper du poing sur la table afin de réaffirmer son autorité, rapporte Jeune Afrique. Un recadrage à l’encontre des collaborateurs qui prennent des décisions sans en référer à l’autorité hiérarchique. Après les dix-sept années de pouvoir de Joseph Kabila, “le personnel à la présidence n’est pas encore habitué à avoir des directives venant de Félix Tshisekedi. Il y a un certain frein aux décisions prises par le président. On se demande s’il faut exécuter ses demandes”, explique Jean-Claude Félix-Tchicaya.
Preuve de la lutte interne au sein du FCC, des divisions commencent à apparaître. Le 27 juillet, lors du vote pour la présidence du Sénat, contrôlé aussi par le FCC, Modeste Bahati Lukwebo, ex-ministre de Joseph Kabila, a défié l’autorité de l’ex-chef d’État en se présentant face à Alexis Thambwe, le candidat choisi par ce dernier. Lors des consultations avec le Premier ministre, Modeste Bahati Lukwebo a réclamé quatre ministères pour le compte de son mouvement politique, l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo et Alliés (AFDC-A). Le Premier gouvernement de Félix Tshisekedi risque de laisser des traces.