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Dans la course pour atteindre Mars, l’Inde vise d'abord la Lune

L’Inde lance, lundi, sa deuxième mission spatiale vers la Lune. Dans un contexte de rivalité avec la Chine, New Delhi espère aussi se faire une place dans la course pour l'exploration de la planète Mars.

Les yeux rivés vers le ciel, New Delhi s’apprête à lancer, lundi 15 juillet, sa propre mission lunaire. Le décollage de la fusée GSLV-MkIII, puissant lanceur indien, équivalent d'une fusée européenne Ariane 4 est prévu à 02   h   51 heure locales (21   h   21 GMT) depuis le pas de tir de Sriharikota situé dans le sud-est du pays. "Nous n'avons jamais entrepris une mission aussi complexe" admet Kailasavadivoo Sivan, le directeur de l'agence spatiale indienne ISRO.

C’est la deuxième fois que l’Inde lance une sonde en direction de la Lune. Une première tentative en 2008 s’était soldée par un échec lorsque l’engin spatial indien s'était écrasé contre la surface lunaire. 

L’expédition, rebaptisée cette fois Chandrayaan-2 ("Chariot lunaire" en hindi), a pour but de déposer le 6   septembre sur un haut plateau du pôle sud de la Lune, le robot Pragyan. Le véhicule de 27   kilogrammes devrait se lancer dans une fouille du sol lunaire à la recherche de traces d'eau et "de signes fossiles du système solaire primitif", selon l'ISRO. Alimenté à l'énergie solaire, Pragyan pourra marcher durant un jour lunaire, soit quatorze   jours terrestres afin de parcourir jusqu'à 500   mètres.

????????#ISROMissions ????????#GSLVMkIII carrying #Chandrayaan2 spacecraft, undergoing launch checks at launch pad in Sriharikota. Launch is scheduled at 2:51AM IST on July 15.
Stay tuned for more updates... pic.twitter.com/n2RA14A3KX

  ISRO (@isro) 11 juillet 2019

L’Inde s’est illustrée par le passé par plusieurs brillantes missions spatiales, mais le géant asiatique s’était cantonné jusque-là à du "spatial utile avec l’envoi de satellite servant à développer les télécoms pour le télé-enseignement, la télémédecine, ou encore des outils d’observation de la terre, de surveillance météorologique ou agricole", explique Isabelle Sourbes-Verger, directrice de recherche au CNRS. Avec Chandrayaan-2, "l’Inde passe à du spatial politique pour prouver à tous qu’il est bien une grande puissance", précise la géographe spécialisée dans les politiques spatiales.

La Lune, une étape avant Mars

Si la mission lunaire indienne aboutit, l’Inde fera son entrée dans le club très restreint des quatre pays du monde à avoir déposé sans encombre un appareil sur le plus célèbre des satellites de la Terre. Seuls les États-Unis et la Russie y sont parvenus jusqu’à présent, rejoints par la Chine qui, en janvier, s’est posée sur la face cachée de la Lune, une première au monde.

Alors que 2019 marque le cinquantième anniversaire de l'arrivée des premiers hommes sur la Lune, celle-ci semble retrouver un intérêt international. D’autres pays rêvent d’alunissages, au rang desquels Israël, mais aussi la France et l’Europe. L'Agence spatiale européenne (Esa) a d’ailleurs demandé à ArianeGroup d’étudier comment lancer un atterrisseur sur la Lune avant 2025, révélait André-Hubert Roussel, le PDG du groupe aérospatial en janvier.

2019 sera une année lunaire, durant laquelle nous fêterons le 50ème anniversaire du premier pas sur la Lune. Mais l’actualité n’est pas en reste, avec l’atterrissage de la mission chinoise #ChangE4 cette nuit ???? Quelques explications ???? pic.twitter.com/WbMABySKDJ

  CNES (@CNES) 3 janvier 2019

Pourtant, d’après Isabelle Sourbes-Verger "on n’attend plus de grandes découvertes scientifiques de ces missions lunaires". Elles s’inscrivent plutôt dans une logique de "course à la technologie". En effet, pour de nombreux experts scientifiques, le retour sur la Lune est perçu comme une étape incontournable de la préparation technologique à des vols habités vers des destinations plus lointaines, au premier plan desquelles la planète Mars. "La Chine comme l’Inde veulent acquérir les technologies qui leur permettront d’être préparés à niveau égal avec les plus anciennes puissances spatiales quand il s’agira d’explorer Mars", souligne Isabelle Sourbes-Verger.

L’agence spatiale indienne a déjà réalisé une première mission martienne en 2014, en plaçant une sonde en orbite autour de la planète rouge. Les Chinois, eux, avaient tenté de lancer une sonde en 2009, mais celle-ci a raté son départ et n'est pas parvenue à prendre la route à destination de Mars. Loin d’avoir renoncé, ils prévoient pour juillet 2020 d’une nouvelle mission martienne.

Devenir une "superpuissance de l’espace"

À demi-mot, la conquête spatiale indienne serait surtout motivée par une compétition avec la Chine, estime Isabelle Sourbes-Verger. Preuve en est, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a tenu à annoncer en personne, la réussite d’un tir antisatellite, douze ans après celui de Pékin.

"Il y a peu, nos scientifiques ont abattu un satellite en orbite basse à une distance de 300   kilomètres" a ainsi déclaré le dirigeant nationaliste à la télévision indienne. "C'est un moment de fierté pour l'Inde", a-t-il ajouté dans son allocution, estimant que son pays de 1,25   milliard d'habitants rejoignait ainsi les "superpuissances de l'espace".

"L’arrivée de Narenda Modi au pouvoir en Inde [en 2014] a changé l’ADN du programme spatial indien qui jusque-là était avant tout utilisé pour l’économie indienne", analyse Isabelle Sourbes-Verges. L’actuel dirigeant oriente et inscrit désormais les exploits de l’agence spatiale indienne dans un discours nationaliste plus large à visée politique.

L’Inde voit-elle trop gros ?

L’ambition du Premier ministre indien le pousserait-il à aller trop loin   ? En juin, l’agence spatiale indienne a annoncé son intention de "disposer de sa propre station spatiale". La future station indienne permettrait au pays de posséder une base où les astronautes indiens pourraient séjourner entre 15 et 20   jours. Un temps qu'ils mettront à profit pour réaliser des expériences en microgravité, comme l’a expliqué le président de l’ISRO. En outre, une première mission spatiale incluant des astronautes est envisagée pour 2022.

"Jusqu’ici les Indiens étaient admirés pour leur modèle spatial économe et efficace. Ça porte même un nom en Inde, on appelle ça le ‘jugaad’ [débrouillardise en hindi], ce qui veut dire ‘innovation frugale’. Mais le vol habité c’est autre chose   ! Ça suppose beaucoup plus de moyens parce qu’il faut garantir les risques avec un lanceur fiable à 90   %, incluant une garantie de retour pour les astronautes embarqués", commente Isabelle Sourbes-Verger.

Pour son programme spatial, l’Inde dispose de moins de 2   milliards de dollars de budget. À titre de comparaison, on estime le budget spatial chinois à 8   milliards de dollars. Les États-Unis sont loin devant avec plus de 40   milliards de dollars consacrés à la conquête de l’espace chaque année. En d’autres termes, si Narenda Modi continue de voire gros, l’Inde va devoir sérieusement mettre la main au portefeuille.