Alors que l'écologie politique gagne la bataille culturelle, la liste menée par Yannick Jadot plafonne dans les sondages. La faute à la captation des thèmes écolos par les autres partis et à une stratégie ni droite-ni gauche pas toujours lisible.
C’est l’histoire d’un paradoxe. Jamais l’écologie politique n’a été aussi présente dans le débat public en France et pourtant, la liste Europe Écologie menée par Yannick Jadot peine à dépasser le cap des 10 % dans les sondages effectués en vue des élections européennes du 26 mai.
Les Français placent la protection de l’environnement parmi leurs principaux sujets de préoccupation. La "marche du siècle", une mobilisation internationale contre le réchauffement climatique organisée le 16 mars dernier, a réuni plus de 350 000 personnes en France, selon ses organisateurs. Et la pétition "L’affaire du siècle", en soutien à l’action en justice menée par quatre associations pour que l’État français tienne ses engagements climatiques, a recueilli plus de 2 millions de signatures.
"C’est une victoire culturelle", souligne Arthur Nazaret, auteur d’"Une histoire de l’écologie politique" (éd. La Tengo), interrogé par France 24 début février. "On voit bien que les idées défendues par l’écologie politique se disséminent partout et que leurs thèmes sont très largement diffusés."
Pour autant, cette victoire ne se traduit pas dans les intentions de vote, notamment parce que l’ensemble des partis politiques, ou presque, ont fait de l’écologie l’un de leurs principaux thèmes de campagne pour le scrutin européen.
Banque climat, taxe carbone aux frontières, tribunal de justice climatique : ces propositions se retrouvent aussi bien dans les programmes de Nathalie Loiseau, Manon Aubry, Raphaël Glucksmann ou Benoît Hamon. Et quand la liste Europe Écologie propose d’investir 500 milliards d’euros en cinq ans sur la transition écologique, la liste Renaissance (LREM-MoDem-Agir) surenchérit en proposant 1 000 milliards d’euros d’investissements, tandis que la Liste citoyenne du printemps européen de Benoît Hamon table carrément sur 2 500 milliards d’euros.
"Ce que je dis devant vous, je le fais au Parlement européen"
Dans ce contexte, Yannick Jadot tente de revendiquer la légitimité d’Europe Écologie sur les questions environnementales en répétant à longueur d’interviews que son parti, contrairement aux autres, est "cohérent". "Ce que je dis devant vous, je le fais au Parlement européen, a-t-il de nouveau affirmé, mardi 14 mai, sur France 24. Les années où j’ai exercé, où les écologistes ont exercé au Parlement européen, c’est notre crédibilité. Au Parlement européen, toutes les avancées sur l’environnement, sur la santé, c’est parce qu’il y a un groupe vert constitué qui est au cœur de ces dynamiques."
Le député européen ne manque également jamais une occasion de souligner les incohérences de ses adversaires. Sur Nathalie Loiseau, il rappelle que l’ancienne ministre des Affaires européennes souscrit à "tous les accords de libre-échange qui participent de la malbouffe, de la souffrance animale, de l’emballement climatique et de la disparition de nos paysans". Et sur Raphaël Glucksmann et la liste Place publique-Parti socialiste, il précise que le candidat socialiste au poste de président de la Commission européenne est Frans Timmermans, son actuel vice-président, "qui est pour le dumping fiscal, pour les accords de libre-échange, pour le glyphosate".
L’électorat est-il sensible à ces arguments ? Les études d’opinion montrent la grande fragilité du vote vert. Selon l’Ifop, seulement 53 % des sondés déclarant vouloir voter pour la liste de Yannick Jadot se disent certains de leur choix. Pour les autres, "la porosité est à peu près équivalente entre ceux qui pourraient voter En marche et ceux qui pourraient voter pour une liste de gauche", estime dans Le Journal du dimanche Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop.
L’autre problème des écolos tient à leur stratégie solitaire affirmée depuis le début de la campagne. Yannick Jadot a toujours refusé la moindre alliance, prétextant que "la reconstruction de la gauche [n’était] pas son problème" et qu’il se situait désormais au-dessus du clivage gauche-droite. Pourtant, les occasions n'ont pas manqué. L'été dernier, Benoît Hamon a tenté un rapprochement avec Europe Écologie, précédant ainsi Ségolène Royal qui a proposé, juste avant les fêtes de fin d’année, à Yannick Jadot une liste commune avec le PS en lui laissant la tête de liste. De son côté, Place publique a tenté pendant des semaines d’unir la gauche. "L'écologie veut occuper une place centrale dans le débat politique. L'écologie, c'est bien plus que la gauche", assurait, début février, le député européen.
Le "vote utile", dernier recours d’Europe Écologie
Ce positionnement contraint Yannick Jadot à jouer les équilibristes pour séduire à la fois son électorat naturel à gauche, mais aussi les déçus d’Emmanuel Macron situés plus au centre. Le 1er mars, il déclare ainsi au Point être "pour le commerce, la libre entreprise et l’innovation", s’attirant les foudres de La France insoumise et de Génération.s qui l’accusent alors d’être favorable à l’économie de marché. Le 14 mai, il déclare au site Reporterre : "Je suis anticapitaliste".
Pour autant, Yannick Jadot, qui plafonne entre 7 % et 10 % dans les sondages, loin des 16 % atteint par Europe Écologie-Les Verts aux européennes de 2009, a pris conscience du risque que fait peser sur lui l’émiettement des voix de gauche. Il s’est également rendu compte que sa stratégie de la main tendue à la droite a irrité bon nombre de ses électeurs historiques. Alors, il tente désormais de se repositionner sur sa gauche en tentant de faire venir à lui les électeurs hésitant encore entre sa liste, celle de Raphaël Glucksmann et celle de Benoît Hamon.
Cela passe par de l’affichage. Samedi 11 mai, il était dans les quartiers nord de Marseille, qu’il a arpentés en compagnie de la sénatrice socialiste Samia Ghali. "L’écologie est éminemment sociale", déclare-t-il ce jour-là pour rappeler que les valeurs qu’il défend sont bien de gauche.
Cela passe aussi par une mise en garde. D’ici au scrutin du 26 mai, les écolos comptent en effet insister sur la notion de "vote utile" à gauche, affirme à France 24 l’entourage de Yannick Jadot, en soulignant que la liste socialiste n’est pas certaine d’atteindre les 5 % – seuil minimum pour avoir des élus – et que la liste hamoniste n’est même pas sûre de dépasser les 3 % – seuil minimum pour être remboursé des frais de campagne.
Cet appel à la raison permettra-t-il à Europe Écologie de décoller dans les sondages ? "Quand on a fait 16 % en 2009, et j'étais moi-même candidat, une semaine avant, on était à 8 %", a soutenu Yannick Jadot, mardi 14 mai, sur Sud Radio. L’espoir est encore permis.