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Quand le recyclable part en fumée à Philadelphie

Aux États-Unis, Philadelphie est devenue un symbole : celui de l'incapacité à faire face à la quantité de déchets générés. Depuis l’annonce par la Chine, début 2018, de la fin des importations de déchets plastiques sur son territoire, la ville de Pennsylvanie se retrouve, comme des centaines d’autres, dépassée par la gestion de ses déchets recyclables, qui finissent depuis 6 mois dans un incinérateur.

Dans sa cuisine, Virginia Gehshen dispose de plusieurs containers : un premier pour le compost, un second pour le papier, le plastique et le verre et un dernier pour les déchets non recyclables. Cette résidente du centre-ville de Philadelphie, qui se décrit comme une maniaque du tri sélectif, admet y consacrer beaucoup de temps : "Mon mari ne peut pas se passer de beurre de cacahuètes, alors je lave les pots à la main, puis au lave-vaisselle pour les débarrasser de leur graisse et les mettre ensuite au tri avec le verre", dit-elle en souriant.

Ces déchets, destinés au recyclage, Virginia les dépose ensuite dans une poubelle bleue, dont le contenu est ramassé tous les jeudis par les services de la mairie. Mais depuis octobre dernier, la moitié des déchets recyclables finit à l’incinérateur, brûlés avec les autres ordures de la ville. Une gestion qui n’est pas propre à Philadelphie. À travers les États-Unis, une centaine de villes moyennes n’auraient pas les moyens de traiter leurs déchets recyclables.

Un problème qui s’est révélé dans toute son ampleur lorsque la Chine a décidé de fermer ses portes à la plupart des déchets produits à l’étranger. En effet, Pékin a brusquement exprimé son refus d’être la poubelle du monde occidental. Or, jusqu’à janvier 2018, les États-Unis vendaient chaque année des millions de tonnes de pots de yaourt usagés, de bouteilles de shampoing, de jus de fruits et toutes sortes de plastiques et papiers aux Chinois. Selon le décompte de l’Université de Géorgie, chaque jour, 4 000 containers quittaient les ports américains en direction de la Chine. Les déchets étaient ensuite recyclés en matières premières puis revendus aux grandes firmes industrielles à travers le monde.

Deux cents tonnes de déchets par jour

Quasiment du jour au lendemain, Philadelphie s’est donc retrouvée dépassée avec 200 tonnes de déchets recyclables collectés chaque jour. La ville de plus de 1,5 million d'habitants n’avait alors jamais eu besoin d’investir dans des infrastructures de recyclage.

"En 2012, la ville vendait 72   dollars la tonne de déchets à la Chine, explique Scott McGrath, le directeur du département environnement de Philadelphie . Après la décision de Pékin, nous avons trouvé un prestataire local qui nous demandait 20   dollars la tonne. À l’été, on était passés à 40   dollars et quand nous avons renégocié le contrat en septembre, ce prestataire nous demandait 170   dollars la tonne pour s’occuper de nos déchets". Beaucoup trop cher pour la ville.

"Nous avons dû trouver rapidement une solution économique pour régler cette crise à court terme. Nous en avons parlé avec le département d’État pour la protection de l’environnement. Nous avons expliqué notre position et le fait que nous n’avions pas d’autre choix que d’abandonner le recyclage. Nous n’avions absolument pas les ressources nécessaires pour faire face à ce coût " , reconnait Scott McGrath.

Une situation insupportable pour Virginia Gehshen : "C’est décourageant parce que je consacre tellement de temps au tri. Et aussi que le problème derrière tout ça est très grave. Ce n’est pas juste un incident mineur, c’est un problème qui va durer et cette fois on ne peut pas s’en sortir en vendant à la Chine. Nous devons nous réveiller, ouvrir les yeux et trouver ce qu’on va pouvoir faire de tout ça"….

Chester, une population sacrifiée

Résultat : depuis octobre 2018, la moitié des déchets recyclables de la ville part en fumée dans l’incinérateur de Covanta à Chester , dans la banlieue industrielle de Philadelphie. Dans ce quartier pauvre, les habitants voient défiler les camions-poubelles toute la journée. Ici, l’air est plus ou moins irrespirable en fonction de ce qui est brûlé.

Après 15 minutes sur place, les yeux et la gorge piquent. Cela n’empêche pas les enfants du quartier de jouer dans les jardins et les cours à l’abandon. Zulene Mayfield est née et a grandi à Chester. Cette mère de famille est aujourd'hui à la tête du collectif Qualité de vie pour les habitants de Chester. "Je sens cette merde dans l’air et je pense à ce qu’était cette communauté avant que cette chose soit là… Et ça me met en colère. Et ils disent que tout va bien   ? Non, tout ne va pas bien   ! Ils vont vous dire que ce qui sort de cette cheminée n’est pas néfaste   ? C’est des conneries, des conneries   !"

Inquiétude des riverains

L'incinérateur et les autres industries présentes à Chester ont un impact évident sur la santé des habitants. Environ 4 enfants sur 10 souffrent d’asthme, le taux de cancer de l’ovaire est de 64   %, soit le plus élevé de Pennsylvanie selon l’institut local de santé publique . Et dans le quartier, la plupart des maisons sont équipées de masques et de bouteilles d’oxygène.

Interrogé par France 24 sur les émissions toxiques, James Regan, porte-parole de Covanta, déclare que la compagnie n’a fait que répondre à la demande de la ville de Philadelphie   : "Ce n’était pas notre choix. La ville devait faire face à une crise de recyclage importante comme une grande partie de la planète et elle a décidé de nous confier ses déchets".

Vers un recyclage à 100 % ?

Six mois après avoir abandonné le recyclage, la ville a annoncé avoir trouvé un prestataire pour reprendre le flambeau dans les prochaines semaines. Il est également question d’organiser une campagne de sensibilisation au tri sélectif efficace. « Les gens pensent bien faire en jetant leur boîte de pizza dans la poubelle de recyclage parce que c’est du carton, explique Nic Esposito, le directeur du service Zéro déchet de la mairie. Mais ce carton est en fait pollué par la graisse et ne pourra pas être recyclé. C’est un exemple parmi tant d’autres   ! Il faut qu’on éduque les habitants de Philadelphie pour qu’ils trient au mieux". Mais les déchets recyclables ne sont qu'une petite partie du problème. "L’incinérateur de Chester va continuer à brûler des déchets qui viennent d’ailleurs   : de New York, de Caroline du Nord, d’Ohio et de bien d’autres endroits", explique Mike Ewall, un militant pour la protection de l'environnement .

Pour  la militante Zulene Mayfield, il y a urgence à trouver une solution durable   : "Consommez moins, balancez vos déchets... en fait je me fiche de ce que vous en faites. Juste : arrêtez de nourrir cette bête. Arrêtez   !"