Le gouvernement a annoncé, mercredi, un projet de loi pour fournir un cadre légal et fiscal à la générosité qui a suivi l’incendie de la cathédrale Notre-Dame. Une avalanche de promesses de dons qui n’a pas été sans susciter des polémiques.
La facture totale de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris est encore loin d’être connue, mais les questions d’argent dominaient déjà le débat public, mercredi 17 avril, deux jours après l’incendie qui a ravagé l’édifice parisien.
Le gouvernement a annoncé, mercredi, son intention de déposer un projet de loi “Notre-Dame” pour fixer le cadre légal et fiscal aux dons effectués pour financer la reconstruction de la cathédrale. Le Premier ministre, Édouard Philippe, a précisé que les particuliers bénéficieraient d’une réduction d’impôt majorée de 75 % pour les dons de moins de 1 000 euros, contre une déduction de 66 % au-delà de cette somme. Les entreprises ne bénéficieront, quant à elles, pas de coup de pouce particulier, et elles continueront à ne pouvoir déduire que 60 % de leurs dons de l’impôt sur les sociétés (dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires).
Critiques de tous les côtés
Cette initiative gouvernementale intervient alors que l’élan de générosité, qui se chiffre pour l'heure à plus de 820 millions d’euros de promesses de dons, a suscité une vague d'indignation. D’un côté, plusieurs responsables politiques, surtout à gauche, se sont offusqués des centaines de millions d’euros mis sur la table par des grandes fortunes françaises, comme François Pinault, le patron du groupe de luxe Kering, ou son rival Bernard Arnault, à la tête de l’empire LVMH. Manon Aubry, tête de liste de La France Insoumise, a affirmé qu’”on ne pouvait pas faire de la préservation de notre patrimoine une grande entreprise de communication”. “En un clic, 200 millions, 100 millions, ça montre aussi les inégalités dans ce pays”, s’est, quant à lui, emporté Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Face à cette levée de boucliers, François Pinault et sa famille, qui ont promis 100 millions d’euros, a précisé qu’il renoncerait à la déduction d’impôt.
De l’autre côté, certaines personnalités ont demandé à l’État d’aller plus loin pour inciter les Français à donner davantage. Le maire de Nice, Christian Estrosi, et l’ancien ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, avaient suggéré de “classer Notre-Dame de Paris en ‘Trésor national’”, ce qui permettrait aux particuliers d’appliquer une réduction d’impôt de 90 % du montant du don. Problème : cette catégorie ne s’applique qu’aux biens mobiliers (comme des peintures de maîtres) et même si la Cour des comptes a reconnu que “l’extension du champ de cette mesure fiscale à des projets de restauration de grands monuments patrimoniaux avait parfois été envisagée, elle n’avait jamais abouti”, rappelle Libération. L'ancien ministre de la Culture est depuis revenu sur sa proposition.
Le projet de loi “Notre-Dame” cherche à satisfaire toutes les chapelles en accordant un avantage fiscal seulement aux petits donateurs. C’est un texte “qui instaure une règle spéciale pour une situation spéciale”, résume Bertrand Tourmente, fondateur d’Althos Patrimoine, contacté par France 24. Il explique que le montant de la réduction “est un bon moyen pour les Français de choisir l’affectation de leur impôt”. En d’autres termes, la priorité est la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Á ce titre, le texte est un outil pour essayer “de faire en sorte qu’on puisse tenir le délai de cinq ans fixé par le président pour reconstruire la cathédrale”, juge Bertrand Tourmente.
Un poids pour le budget
Mais, pour Antoine Colonna, avocat fiscaliste du cabinet Norton Rose Fulbright, cette nouvelle législation risque de mettre de l’huile sur le feu. Le projet de loi ”prête le flanc à la critique, car d’un point de vue de l’égalité devant l’impôt, on peut se demander pourquoi, au-delà du symbole que représente Notre-Dame, on fait un distingo juridique entre cet édifice et un autre bâtiment ou une autre cause qui peut avoir besoin de mécénat”, affirme-t-il à France 24.
Pour ce spécialiste, le cadre légal existant suffisait. En l’état actuel des textes, un particulier bénéficie d’une réduction d’impôt de 66 % du montant des dons à hauteur de 20 % du revenu imposable, les grandes fortunes peuvent déduire de l’impôt sur la fortune immobilière 75 % de leurs dons dans la limite de 50 000 euros et les entreprises bénéficient d’une ristourne fiscale qui s’élève à 60 % du montant du don tant que celui-ci ne dépasse pas 0,5 % de leur chiffre d’affaires.
Est-ce qu’il fallait vraiment inciter les Français à donner plus ? Les réductions d’impôts sont finalement des rentrées fiscales en moins qui risquent de peser sur le futur budget. “Il faut se féliciter de la générosité, mais mécaniquement, tout cela va coûter très cher à un État ultradéficitaire, et donc aux contribuables”, a affirmé Gilles Carrez, député Les Républicains et membre de la Commission des Finances. En un sens, ce sont les contribuables qui paient une partie de la générosité des grandes fortunes, dénonce des associations comme Attac.
Un argument qui ne tient pas la route pour Antoine Colonna. “Le mécénat est favorisé par l’État, car ce dernier n’a plus les moyens de subventionner certains travaux importants”, souligne-t-il. “On peut critiquer la manière dont certains se font de la pub à travers les dons, mais sur le fond sans eux, l’État aurait dû payer bien plus cher, puisque de toute façon la cathédrale va être reconstruite”, conclut-il. Sauf à suivre l’exemple de François Pinault et à renoncer aux réductions d’impôts. Gilles Carrez a d’ailleurs appelé “les grandes entreprises, du moins les plus fortunées, à renoncer aux incitations fiscales pour le bien commun”. Mais pour l’heure, autant la surenchère dans les promesses de dons a bien eu lieu, autant celle pour renoncer aux avantages fiscaux ne semble pas d’actualité.