Ils étaient nombreux, mardi, à se presser le long des quais pour contempler Notre-Dame après l’incendie de la nuit. France 24 a rencontré des curieux tristes et perplexes.
Peu nombreux, sans doute, sont les Parisiens à avoir connu le parvis de Notre-Dame aussi vide, sauf peut-être, tard dans la nuit ou aux premières lueurs de l’aube. Bouclé par les forces de l’ordre, et seulement parcouru par des pompiers et policiers, il était dans la matinée du mardi 16 avril inaccessible aux dizaines de milliers de visiteurs quotidiens qui d’ordinaire se pressent au pied du joyau, vieux de plus de huit siècles et témoin de tant de moments marquants de l’histoire de France.
Ils se massent sur les ponts restés accessibles, comme le pont au Change, qui relie la rive droite de la Seine à l’île de la Cité. Certains badauds ont l'air pensif, d'autres photographient, avec leurs téléphones, les tours de l’une des cathédrales les plus célèbres au monde, restées debout après le terrible incendie de la nuit.
Mais c’est rive gauche, le long du quai de Montebello, qui fait face au versant sud de l’édifice, que la foule est la plus dense. Sur la promenade où les échoppes vertes des bouquinistes sont aujourd’hui fermées à double tour, elle contemple les stigmates d’une triste nuit : la façade vaguement noircie de Notre-Dame d’où n’émerge plus la flèche de Viollet-le-Duc. Elle s’est effondrée la veille peu avant 20 h, après un départ d’incendie qui a ravagé la charpente.
"Je suis bouleversée, d’autant qu’en tant que catholique, Notre-Dame de Paris est pour moi le symbole de la force de la foi, de ce que la foi des hommes peut bâtir sur plusieurs siècles", explique Alexandra Chantard, venue exprès d’Anthony (Hauts-de-Seine) pour constater les dégâts et se recueillir. La sexagénaire prie et récite des "Je vous salue Marie". Ragaillardie par les promesses de reconstruction d’Emmanuel Macron, elle espère un "sursaut général" pour que des fonds soient rassemblés pour mener ce projet à bien.
Dans le flot des passants qui parcourent l’axe dans les deux sens, on croise également un couple et sa fillette de 11 ans, venus de Tarbes (Hautes-Pyrénées) pour faire découvrir Paris à leur progéniture. "C’est incroyable, nous sommes passés lundi matin en bateau-mouche au pied de l’édifice et le soir même il était en feu, on n’en revient toujours pas", raconte Sabrina, tandis que son mari Thierry regrette que "les Français ne prennent conscience de la richesse inestimable de leur patrimoine qu’en des moments pareils".
"Il y a encore quelques années, il était compliqué de trouver les fonds nécessaires pour financer les travaux de la charpente, et il faut un drame de cette ampleur pour voir affluer les fonds… C’est dommage, même s’il faut se réjouir car cela va accélérer la reconstruction", estime-t-il.
À quelques mètres de là, devant la célèbre librairie anglophone Shakespeare and company, des touristes prennent un café ou grignotent en terrasse. Béret noir couvrant ses beaux cheveux blancs, dans un élégant duffle-coat rouge, une dame, bras croisés derrière le dos, contemple le spectacle en silence. Hervor Sjödjin, Suédoise, est une professeure de français retraitée. À 83 ans, "pour la trentième ou quarantième fois", elle ne sait plus, elle profite d’un séjour à Paris, "une ville que j’aime depuis toujours", dit-elle, émue, dans un français parfait. La première fois, c’était en 1966, juste après la naissance de son fils, qui est aujourd’hui à ses côtés face à la cathédrale. "Je ressens une grande tristesse, c’est terrible de voir une telle somme de culture brûler, alors qu’elle a survécu à deux guerres au cours du XXe siècle !".
Et la vielle dame de revenir sur le célèbre épisode de la libération de Paris, qui aurait brûlé en août 1944 "même Notre-Dame sans doute", si les ordres de Hitler avaient été suivis. C’était sans compter sur le consul suédois Raoul Nordling, raconte-t-elle avec une pointe de fierté. Celui-ci négocia avec le gouverneur militaire allemand de Paris et le convainquit de ne pas détruire la capitale, malgré les consignes du Führer. "Alors voir ça aujourd’hui …"
C’est en vélo que Matthieu, "un Parisien du 20e [dans l'est de la capitale NDLR]", a rejoint les quais de Seine. "C’est un moment suspendu, assez fort, on réalise ce qu’on a perdu… Je suis content de partager cela avec des inconnus, et je regrette même de ne pas être venu hier soir, un évènement comme celui-ci ça relie, ça rassemble, c’est bien d’être là", estime-t-il.
Il doit rejoindre son épouse, qui l’attend au métro Saint-Paul, à quelques centaines de mètres. Sûrement iront-ils contempler ensemble la cathédrale, qu'il n'a visitée qu’une seule fois, "il y a 25 ans déjà, avec celle, justement, qui allait devenir ma femme".