Les éléments à charge à l’encontre des Saoudiennes emprisonnées depuis dix mois, reconvoquées devant le tribunal le 27 mars, n’ont d’autre fondement que le militantisme pour les droits des femmes, affirme HRW, contredisant le prince héritier MBS.
Loujain al-Hathloul, Hatoon al-Fassi, Aziza al-Yousef et au moins sept autres femmes figureront à nouveau parmi les accusés à la Cour pénale de Riyad le 27 mars. Selon Human Rights Watch, qui a rassemblé des informations sur leurs dossiers d'accusation, ces Saoudiennes sont uniquement poursuivies pour leurs activités militantes. Ces femmes – qui sont au nombre de dix selon la présidence de la Cour, onze selon l’organisation des droits de l'Homme ALQST – ont été arrêtées il y a dix mois, les premiers cas de détention ayant été signalés en mai 2018, et convoquées une première fois devant le tribunal pénal le 13 mars dernier.
Ces affirmations de HRW corroborent des informations apportées par Amnesty International, le 14 mars. Surtout, elles contredisent radicalement les déclarations de Mohammed ben Salmane lors d'une interview accordée à l’agence Bloomberg, en octobre 2018. Le prince héritier affirmait alors que ces femmes emprisonnées avaient collaboré avec des services secrets étrangers, notamment avec le Qatar et l’Iran, et que leurs activités de militantisme pour les droits des Saoudiennes n’étaient pas en cause.
"Elles ont un réseau, des connexions avec des représentants de gouvernement [étranger], et leur livrent des informations", affirmait Mohammed ben Salmane, invitant Bloomberg à visionner des preuves sous forme de vidéos, le lendemain. Or, rapporte l'agence de presse, aucun document ne leur a été soumis par la suite.
Accusations floues et pas d’avocat
À présent, selon Human Rights Watch, le fond des dossiers d’accusation contre ces femmes porterait uniquement sur leur partage d’information avec des journalistes accrédités à Riyad, avec des diplomates et des ONG telles qu’Amnesty International et HRW. Entretenir des contacts avec ces personnes ou ces organisations relèverait de l’offense criminelle, précise l'organisation non-gouvernementale.
Surtout, le procureur en charge de l’enquête agiterait le spectre de l’article 6 de la loi sur la cybercriminalité, un texte aux termes assez vagues qui prévoit une peine de 5 ans d’emprisonnement et une amende de trois millions de riyals saoudiens (environ 800 000 dollars), en cas de stockage ou de diffusion d’informations sur le web qui seraient contraire aux valeurs religieuses et morales, ou dangereuse pour l’ordre public. C’est en vertu de ce texte de loi que plusieurs activistes des droits humains ont déjà été condamnés, rappelle HRW.
Durant la phase d’enquête, explique Adam Coogle, responsable du bureau de Human Rights Watch à Amman, joint par France 24, ces femmes n’ont pas eu accès à un avocat, conformément au droit saoudien. En revanche, à présent que le procès est ouvert, les accusées seraient en droit d’être aidées et conseillées juridiquement. "Cependant, elles ont beaucoup de mal à trouver quelqu’un pour les défendre, puisque personne ne veut prendre le risque de s’exposer dans cette affaire très politique", explique Adam Coogle.
Les quelques pressions internationales, exercées en premier lieu par le Canada – par la voix de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, dès août 2018 – puis par la France – Emmanuel Macron a appelé à la libération de Loujain al-Hathloul, le 8 mars –, les déclarations d’indignation émises par le Parlement européen et par plusieurs membres du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, ou encore la conférence de presse donnée le 14 mars par le frère de Loujain al-Hathloul en présence de membres du Congrès américain, sur les conditions de détention de la jeune femme et les preuves de torture… n’ont pas suffi à faire fléchir Riyad.