Alors que l’Italie s’apprête à soutenir, samedi, les "nouvelles routes de la soie" chinoises, Washington et Bruxelles mettent Rome en garde contre les risques du vaste programme d’investissements chinois. Le Sri Lanka en a fait l’amère expérience.
L'Italie deviendra-t-elle le nouveau Sri Lanka des "nouvelles routes de la soie" ? Les mésaventures de ce pays d'Asie du Sud, qui a dû céder un port à la Chine, planent sur la visite à Rome du président Xi Jinping. L'Italie compte en effet officialiser, samedi 23 mars, son soutien au vaste programme d'investissements chinois dans les infrastructures de plus de 70 pays.
Pour le président italien, Sergio Mattarella, ce rapprochement est "crucial". L'Italie compte beaucoup sur les investissements chinois pour, notamment, donner une nouvelle vie au port de Trieste, qui semble être le projet phare de la coopération économique à venir entre Pékin et Rome.
Un port ex nihilo au sud du Sri Lanka
Pour les détracteurs des "nouvelles routes de la soie", Washington en tête, l'Italie n'a "nul besoin" de ces investissements qui, au final, risqueraient de se retourner contre la troisième puissance économique européenne. Ils en veulent pour preuve l'exemple du Sri Lanka souvent présenté comme le côté obscur des "nouvelles routes de la soie".
Au milieu des années 2000, Colombo accepte de confier à Pékin la construction d'un port ex-nihilo dans la ville de Hambantota, au sud de l'île. Il n'est alors pas encore question de route de la soie – un programme conceptualisé par Xi Jinping en 2012 –, mais tous les ingrédients en sont réunis. "Des fonds et des ingénieurs chinois sont mobilisés pour construire des infrastructures hors de Chine, dans le cadre d'un partenariat censé être ‘gagnant-gagnant' : c'est la définition même de la logique des routes de la soie", souligne Jean-François Dufour, économiste et directeur du cabinet d'études DCA Chine Analyse. Le président chinois intégrera d'ailleurs le projet sri-lankais dans ses routes de la soie dès 2013.
À l'époque, Colombo pense pouvoir toucher les bénéfices de l'exploitation du port, tandis que Pékin obtient un point de passage dans "le très stratégique océan Indien par lequel transite une importante partie des navires commerciaux chinois à destination de l'Europe", rappelle l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne, dans une note d'avril 2018 consacré à ce chantier. Le projet assure aussi à la Chine une présence dans une zone où la compétition fait rage entre Pékin et l'autre grande puissance asiatique : l'Inde.
Mais en 2015, des nuages financiers s'amoncèlent au-dessus de l'avenir du port d'Hambantota, qui a coûté 1,1 milliard de dollars. Le Sri Lanka croule sous les dettes, et se trouve dans l'incapacité de rembourser les plus de 8 milliards de dollars de prêts consentis au total par la Chine pour plusieurs projets d'infrastructure dans le pays. Furieux, Pékin hausse le ton et menace d'arrêter de soutenir financièrement le pays si une solution n'est pas rapidement trouvée. En décembre 2017, après deux ans de négociations, Colombo accepte finalement de céder à la Chine l'exploitation du port de Hambantota pour une période de 99 ans en échange de l'effacement de la dette chinoise.
Le port de Hambantota et celui de Trieste, même combat ?
Une concession vécue comme une humiliation au Sri Lanka, tandis que "les adversaires de la Chine, comme l'Inde, ont présenté toute l'opération comme un plan délibéré pour acquérir des positions stratégiques dans la région", explique Jean-François Dufour. La Chine est soupçonnée d'avoir étranglé Colombo à dessein avec des prêts à un taux de 6 %, bien supérieur à ceux pratiqués par d'autres prêteurs – comme la Banque mondiale – vers lesquels Colombo avait l'habitude de se tourner auparavant.
Jean-François Dufour reconnaît que "cet épisode a choqué et a poussé des pays comme la Malaisie à reconsidérer leur participation aux 'nouvelles routes de la soie'". Mais il voit mal la Chine risquer de compromettre la crédibilité de tout son vaste programme d'investissement pour un port au Sri Lanka.
Quoi qu'il en soit, cet épisode "est une piqûre de rappel que les sommes investies par la Chine ne sont pas des dons, mais bien des prêts avec des conséquences, souligne l'économiste français. Un précédent que l'Italie devrait garder en tête au moment de signer l'accord d'adhésion au programme des routes de la soie car "le cas italien présente des similitudes avec l'expérience au Sri Lanka", remarque Jean-François Dufour. Dans les deux cas, le port est stratégique pour la Chine – Trieste constituerait la nouvelle porte d'entrée principale en Europe pour les marchandises chinoises –, et l'Italie "est aussi un pays déjà lourdement endetté", rappelle cet expert.
Certes, l'Italie est économiquement bien plus puissante que le Sri Lanka, mais "le risque de voir le port de Trieste échapper à l'Italie demeure réel", affirme Jean-François Dufour. Et pour un gouvernement autant à cheval sur l'indépendance nationale que celui de Giuseppe Conté, ce serait un échec politique majeur.