
La controversée loi "anticasseurs" a été définitivement adoptée, mardi soir, par le Sénat français. La balle est désormais dans le camp du Conseil constitutionnel qui doit être saisi à la fois par Emmanuel Macron et par l'opposition.
Interdictions préventives de manifester, fouilles, délit de dissimulation du visage… Le Parlement a adopté définitivement, dans la soirée de mardi 12 mars, par un ultime vote du Sénat (210 voix pour, 115 voix contre et 18 abstentions), la loi "anticasseurs". Ce texte est dénoncé comme "liberticide" à gauche et critiqué par certains élus de la majorité présidentielle.
Certaines mesures controversées risquent toutefois d'être annulées, Emmanuel Macron ayant lui-même décidé de saisir le Conseil constitutionnel, comme le fera la gauche. "Cette saisine permettra de lever les doutes, elle permettra de lever tous les soupçons", a expliqué devant les sénateurs le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, défendant "une proposition de loi de protections".
L'annonce d'une saisine présidentielle, avant même l'adoption du texte, a été critiquée par des sénateurs de gauche comme de droite. Le président du groupe socialiste, Patrick Kanner, y a vu "une intrusion anormale dans le débat parlementaire". "On a connu mieux comme reconnaissance de paternité", a lancé Jérôme Durain (PS), alors que l'auteur de la proposition de loi initiale, Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, raillait la "pensée complexe" de l'exécutif qui "a pu parfois nous dérouter".
"Ce texte ne vise pas les Gilets jaunes"
Une saisine présidentielle, initiative très rare, coupe en tout cas l'herbe sous le pied aux "marcheurs" mécontents, qui auraient pu être tentés de s'associer au recours que quelque 80 députés PS, LFI, PCF, Libertés et territoires et quelques UDI-Agir et non-inscrits sont prêts à formuler. Les sénateurs socialistes ont eux aussi annoncé leur intention de déposer un recours dès mercredi matin.
La proposition de loi, qui visait initialement les "black blocs", avait été approuvée une première fois au Palais du Luxembourg en octobre. Le gouvernement l'avait reprise à son compte en janvier, après les premières manifestations de Gilets jaunes. "Ce texte ne vise pas les Gilets jaunes, il vise au contraire les cagoules noires", a souligné Bruno Retailleau, rappelant que pour lui "le cœur du texte est le délit de dissimulation du visage".
Réclamées par des syndicats policiers, mais critiquées sur certains aspects par des magistrats et avocats, les mesures ont été amendées à l'Assemblée fin janvier, pour un meilleur équilibre entre maintien de l'ordre et libertés publiques. Des sénateurs estiment au contraire que le texte a été "durci".
"Contradictoire avec nos principes constitutionnels"
"Il met en péril la liberté de manifester", a dénoncé la présidente du groupe CRCE Eliane Assassi, tandis que l'écologiste Esther Benbassa reprochait à la droite sénatoriale et à la majorité présidentielle, "main dans la main", de faire "fi des grandes institutions internationales qui ont récemment dénoncé l'escalade des violences anti-manifestants dans notre pays".
"Ce texte présente un risque d'arbitraire. Il peut finalement permettre au préfet, donc au gouvernement, de choisir ses manifestants", a pointé Jérôme Durain (PS).
Le Défenseur des droits Jacques Toubon a salué la saisine par Emmanuel Macron du Conseil Constitutionnel. "Nous verrons bien ce que le Conseil dira mais il est clair que cette disposition sur l'interdiction de manifester peut paraître contradictoire avec nos principes constitutionnels", a-t-il estimé.
La CGT a demandé "l'abandon pur et simple" du texte, tandis que Solidaires a appelé "l'ensemble des syndicats, la société civile à se mobiliser contre cette loi".
Avec AFP