Au moment où des pourparlers entre Washington et les Taliban doivent reprendre samedi, une base américano-afghane a été attaquée par ceux-ci, vendredi en Afghanistan, alors que l’un des enjeux du dialogue est la fiabilité du mouvement intégriste.
Un nouveau cycle de négociation a commencé, le 25 février , à Doha au Qatar, entre les États-Unis et les Taliban . D epuis plusieurs mois, ceux-ci dialoguent en vue d e trouver un compromis visant à mettre fin à 17 ans de conflit en Afghanistan. Le mois dernier, Washington et le mouvement insurgé, au pouvoir dans le pays entre 1996 et 2001, s’étaient quittés sur une "ébauche d'accord", basée sur la promesse des Taliban d'empêcher que le pays ne serve de base arrière à des groupes terroristes, comme leur allié historique al-Qaïda, en échange d’un prochain retrait des troupes américaines présentes sur le territoire depuis 2001.
Toutefois le contenu des discussions, qui doivent reprendre le 2 mars, après une pause de quelques jours, reste assez opaque. "Nous n'allons pas négocier en public, c'est le début d'un long processus ", réplique le département d’État américain lorsqu’il est sondé sur la question. De son côté, l’émissaire américain pour l’Afghanistan Zalmay Khalilzad se contente de qualifier les pourparlers de "producti fs " ou signale des "progrès", tout en reconnaissant qu’il reste "beaucoup de travail" à accomplir.
À Doha, les Taliban dictent leurs conditions
Une nouvelle étape a été franchie, cette semaine, par les Taliban avec, pour la première fois, la présence à la table des négociations du mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement intégriste. Libéré en octobre d’une prison pakistanaise, ce chef influent, qui bénéficie d’un large soutien à l'intérieur des factions talibanes, offre, par son profil, une caution de fiabilité plus importante aux discussions en cours .
Toutefois, l’attaque vendredi 1er mars – revendiqué e par les Taliban – contre une base américano-afghane du sud-ouest du pays, dans la province du Helmand où un nombre indéterminé de soldats américains sont stationnés , jette un trouble sur les pourparlers de Doha. Dès lors, le mouvement intégriste apparaît une nouvelle fois comme soufflant le chaud et le froid.
"Cette attaque contre l’une des bases les plus importantes du pays, dans laquelle sont déployés des soldats et des instructeurs américains, est assez symbolique de l ’assurance qui règne dans les rangs des Taliban qui font monter les enchères à la veille de la reprise du dialogue " , décrypte Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. " Les Taliban n’ont pas cessé ces derniers mois d’attaquer l’armée et la police afghanes, tout au long du processus de négociations, dans lequel ils dictent leurs conditions à une administration Trump qui tente de trouver une porte de sortie honorable dans cette crise".
L’une des questions posées par ces discussions concerne justement la crédibilité des Taliban . Sont-ils capables de tenir parole et de fournir des garanties, alors que les États-Unis espèrent parvenir à long terme à un accord de paix, à même de leur permettre de retirer leurs troupes d’Afghanistan ? C’est une idée fixe de Donald Trump, qui jouit d’un certain consensus sur ce dossier au sein de son administration et de la classe politique qui, malgré quelques interrogations sur les modalités du dialogue de Doha, sont parvenues à la conclusion que la guerre sera sans fin dans ce pays. C’est dans ce sens, et afin de réaliser une de ses promesses de campagne, que le président américain – qui a même fait part de sa volonté de rapatrier rapidement une partie des 14 000 soldats déployés sur place – a brisé un tabou en ouvrant des négociations directes et publiques avec les Taliban, contrairement à tous ses prédécesseurs.
La population afghane s’inquiète d’un retour au pouvoir des Taliban
Outre la crédibilité des Taliban, devenus fréquentables aux yeux de Washington (plusieurs négociateurs désignés par les Taliban étaient détenus à la prison militaire américaine de Guantanamo), les pourparlers risquent d’achopper sur de nombreux obstacles à la hauteur de la complexité du conflit. La principale difficulté tient à l’absence de négociations entre le pouvoir afghan et les Taliban, qui inquiète la population afghane. Très attachée à ses acquis en matière de droits, enregistrés ses dernières années, la société civile craint que le mouvement extrémiste ne cherche à réimposer sa vision stricte de la charia après un potentiel retrait américain.
"Je trouve très étonnant ceux qui disent que les Taliban de 2019 ne sont pas ceux de 1996, qu’ils sont plus modérés, car ils n’ont pas renoncé à leur idéologie, ils continuent à imposer la charia , notamment aux dépens des femmes , dans les régions où ils sont présents, et leurs attentats continuent à tuer des centaines d’Afghans", explique à France 24 Fahimeh Robiolle, maître de conférence à l’ENA, chargée de cours à l’ESSEC, et aux universités de Kaboul et de Téhéran, spécialisée dans la négociation, la gestion de conflit et le leadership. L’année 2018 a été la plus meurtrière jamais enregistrée pour les civils en Afghanistan, avec 3 800 morts, en grande partie imputés aux Taliban.
Publiquement, Washington indique continuer à œuvrer en faveur d'un accord de cessez-le-feu et du démarrage de négociations directes entre les insurgés et Kaboul. Mais les négociateurs américains se heurtent au refus catégorique du groupe intégriste de discuter directement avec le président afghan Ashraf Ghani, accusé d’être une "marionnette" des États-Unis et tenu à l'écart des pourparlers en cours à Doha. Pour les Taliban, l’avenir politique du pays et le partage du pouvoir ne peuvent être discutés qu’après le départ des troupes étrangères du pays. Plus humiliant encore pour un pouvoir afghan très affaibli, les Taliban ont discuté début février à Moscou avec des membres de l'opposition au gouvernement d’Ashraf Ghani, dont l'ex-président Hamid Karzaï qui dirigeait la délégation.
"Les Taliban sont en train d’imposer leur agenda à Washington, poursuit Fahimeh Robiolle. En général, avant de s’assoir autour d’une table de négociations on cherche à affaiblir son ennemi, or les Américains sont en train de faire l’inverse, puisque, plus que jamais, les Taliban sont en position de force pour dialoguer, pour imposer l’exclusion du gouvernement afghan des négociations, face à des négociateurs américains, des généraux et des officiels qui viennent leur offrir sur un plateau leur départ du pays".
Un avis que partage Chekéba Hachémi, ancienne diplomate afghane et fondatrice de l’ONG Afghanistan libre, interrogée par France 24. "Il faut être clair, c’est un leurre, car il n’y a pas de négociation s , estime-t-elle. Les Américains utilisent ce terme alors que, pendant qu’ils discutaient à Doha avec les Taliban, les attentats les plus meurtriers étaient commis dans le pays, une manière pour les extrémistes de démontrer qu’ils sont là grâce à la force".
Et de poursuivre : "Aujourd’hui les Américains qui ont dépensé des milliards dans ce pays, dans lequel ils étaient intervenus avec les Occidentaux en 2001 pour chasser du pouvoir les Taliban et Al-Qaïda après les attentats du 11-Septembre, entendent se retirer en se donnant bonne conscience , en parlant de négociations dont ils ont exclu les autorités et les Afghans, alors qu’en réalité ils vont laisser le pays entre les mains des terroristes , dans la lâcheté la plus totale, y compris celle de la communauté internationale".