
La République islamique d'Iran célèbre le 40e anniversaire de la révolution qui a porté au pouvoir, après la chute du shah, l'ayatollah Khomeini et les religieux. Entretien avec Azadeh Kian, professeure en sociologie politique, spécialiste de l'Iran.
Le 11 février 1979, l'ayatollah Ruhollah Khomeini et les religieux s’installaient au pouvoir en Iran après la chute du shah. Quarante ans plus tard, que reste-t-il de la révolution ? Quel est le bilan de la République islamique iranienne ?
Pour répondre à ces questions, France 24 a interrogé Azadeh Kian, directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Cedref) et professeur e en sociologie politique à l'université Paris Diderot, spécialiste de l'Iran.
Quarante ans après la révolution de 1979, que reste-t-il des promesses de l’ayatollah Ruhollah Khomein i ?
Azadeh Kian : Les religieux se sont emparés de la révolution en laissant sur le chemin énormément de déçus, car les promesses de Khomein i n’ont pas été tenues. Le fondateur de la République islamique avait promis la richesse aux Iraniens et la redistribution au sein de la population. Or , la richesse du pays est accaparée par une minorité infime qui est au pouvoir ou qui est inféodée au régime, sans compter que la corruption, que les religieux avaient pourtant juré de combattre, est toujours en place.
La révolution a largement échoué et a été détournée, car au départ elle n’était pas islamique. Nous sommes vraiment très loin aujourd’hui de toutes les revendications énoncées dès 1977. Elles exprimaient une volonté de réformes émanant des étudiants, des intellectuels, des classes moyennes, urbaines et instruites, réclamant au shah d’Iran de respecter les libertés d’expression, de pensée, d’association inscrites dans la constitution de 1906. Au départ, ces mouvements ne souhaitaient pas renverser le shah, mais voulaient simplement plus de justice sociale. Le shah n’a pas eu l’intelligence d’entendre le message et reste responsable de la révolution qui a été confisquée par les religieux. Or, actuellement, 40 ans après l’instauration de la République islamique, il n’y a ni liberté ni justice sociale en Iran. L’écart entre les riches et les pauvres, qui existait déjà dans les années 1970, n’a jamais été aussi important dans le pays. De sorte que même les classes moyennes, qui étaient censée s être le pilier du régime, ont perdu beaucoup de pouvoir d’achat du fait de l’inflation, de la crise économique, des choix économiques du pouvoir et de la corruption. Une situation aggravée ces dernières années par les sanctions américaines qui frappent le pays, qui est en plus miné par une pénurie de logement s et un problème chronique de chômage très élevé visant en particulier les jeunes.
Dès le début de la révolution , de graves erreurs ont été commises, à la suite de choix idéologiques et politiques, notamment en privatisant l’État au profit de quelques groupes de personnes. La majorité écrasante de la population iranienne, à peu près 70 %, qui n’était pas encore née au moment de la révolution, voit son pays en ruine économiquement et régi par des lois moyenâgeuses. À commencer par la Constitution de la République islamique, les codes civil et pénal, qui ont fait perdre aux femmes beaucoup de leurs droits, contrairement aux promesses de Khomein i . Au final, au lieu de la liberté promise à la population, il n’y a eu que de la répression et ses légions de prisonniers politiques, et c e encore de nos jours. Khomein i avait pourtant affirmé que l’on pouvait être républicain et organiser des élections libres au sein d’un système maintenant un certain nombre de principes islamiques. Or , on ne peut constater que l’échec de ce projet.
À qui a profité l’instauration de la République islamique en Iran ?
La révolution a profité à ceux qui l’ont confisquée, et elle continue de profiter aux hautes sphères du pouvoir, aux cadres du régime, aux Gardiens de la révolution qui ont tout intérêt à la survie de la République islamique, aux écoles religieuses, et aux étudiants en théologie, dont une partie soutient corps et âme le système en place. Les Iraniens ultrariches également, car on ne peut pas devenir millionnaire en Iran si l’on n’est pas proche du pouvoir. Des spécialistes estiment que le régime jouit d’une base de soutien d’environ 10 à 15 % de la population, pas plus, car il a également perdu le soutien des classes populaires. Et contrairement aux idées reçues, il y a beaucoup de ruraux qui sont opposés au pouvoir, car ils se sont énormément appauvris ces dernières décennies. Du côté des femmes, la révolution a profité à celles issues de familles religieuses et traditionnelles, elles ont pu sortir de chez elles, faire des études supérieures et intégrer l’administration, les ministères et le Parlement. Et ce au détriment des femmes modernistes, qui étaient déjà présentes dans ces instances sous le pouvoir du shah.
Il y a eu quelques avancées, dans le domaine de l’éducation et du social notamment, grâce à des politiques mises en place par certains gouvernements, sous les présidents Rafsandjani et Khatami. Le taux d’alphabétisation avoisine actuellement les 100 % pour les enfants et les jeunes de 6 à 24 ans. À l’époque du shah, il n’y avait que 175 000 étudiants dans les universités iraniennes, dont seulement 30 % de femmes. Aujourd’hui, il y a plus de 4,5 millions d’étudiants, dont une majorité de femmes. Dans les régions reculées, frontalières, il y a toujours une école dans les villages, et les villageois ont accès à des médecins et à des moyens de contraception. Une volonté de progrès stoppée par l’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad , en 2005. Même s’il faut garder en tête que c’est le Guide suprême qui tient les manettes du pouvoir en Iran, et non pas la présidence.
Quelle est aujourd’hui l’image de l’Iran dans le monde ?
L’image du pays est largement négative, celle en somme d’un pouvoir qui veut étendre et asseoir son influence dans la région, en s’ingérant dans les affaires d’autres États, au lieu de se tourner vers les besoins de sa population en faisant fructifier ses potentialités, qui sont nombreuses en Iran. Au lieu de cela, il lui impose une répression automatique et la prive des richesses du pays. Cette politique, en vigueur ces 15 dernières années, a également été en vogue au début de la révolution, lorsque le régime islamique a cherché à exporter son modèle révolutionnaire et son idéologie dans la région. Cette idéologie islamiste se fait largement au détriment des intérêts nationaux de l’Iran, qui a des relations très tendues avec les autres pays. Enfin, ceux qui ont instauré le régime islamique sont ceux qui sont encore aujourd’hui au pouvoir, alors que leur génération est minoritaire dans le pays. La moyenne d’âge des hommes de pouvoir est actuellement de 65 ans, alors que la moyenne d’âge du pays est de 30 ans. Ils ont exclu la jeunesse des affaires du pays, bien que celle-ci soit bien formée et reste très attachée à un pays dont elle est fière et qui existe depuis des millénaires. C’est pourtant cette jeunesse-là qui est aujourd’hui la principale source d’espoir pour l’avenir.