
Emmanuel Macron assiste une nouvelle fois lundi, à Évry-Courcouronnes, à une réunion liée au grand débat national, donnant un peu plus de force aux arguments de ceux qui dénoncent une opération de communication du chef de l'État.
L’exercice est maintenant bien rôdé : debout au milieu d’un public assis en cercle autour de lui, micro en main pour répondre aux questions sur l’ISF, le RIC ou sa pratique du pouvoir, Emmanuel Macron rejoue une nouvelle fois la scène du chef de l’État face aux élus locaux et aux citoyens.
Après Grand Bourgtheroulde, Souillac et Valence, le président de la République échange à nouveau, lundi 4 février, à Évry-Courcouronnes avec environ 300 élus locaux et des représentants associatifs dans le cadre du grand débat national. Combien d’heures passera-t-il cette fois-ci à dialoguer avec ces acteurs de la région parisienne impliqués dans les quartiers prioritaires de la ville ? S’il est impossible de répondre à cette question pour le moment, nul doute en revanche que les images d’Emmanuel Macron en banlieue tourneront en boucle dans la soirée sur l’ensemble des chaînes d’information en continu et qu’elles susciteront de nouvelles critiques.
"Le président pose les questions, y répond, et fait le compte-rendu. Pourtant, dans ce grand débat, le rôle du chef de l'État n'était pas qu'il parle, mais qu'il écoute", a ainsi dénoncé le secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts, David Cormand, dans un courrier au Premier ministre, diffusé le 30 janvier à la presse, et dans lequel il faisait part de son refus de participer au "comité de suivi" du grand débat réuni par Édouard Philippe ce jour-là.
"Le choix des sujets abordés et des questions posées à l'occasion de ce débat sont le fait du seul président de la République. L'issue de ce grand débat sera déterminée par le président et par lui seul", a écrit pour sa part le patron de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, dans un courrier adressé à Matignon et diffusé également le 30 janvier à la presse, dans lequel il refuse lui aussi de se rendre au comité de suivi.
Le grand débat national accusé d'être une "opération de communication"
S’il suscite de l’engouement avec plus de 3 500 réunions déjà effectuées ou programmées sur l’ensemble du territoire et des dizaines de milliers de contributions déposées, le grand débat national, organisé du 15 janvier au 15 mars, est également accusé de n’être qu’une "opération de communication", selon les mots utilisés par Chantal Jouanno.
La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) a annoncé le 9 janvier qu’elle ne piloterait pas le grand débat national. Derrière cette décision se cache un bras de fer perdu face à Matignon, a révélé Mediapart le 26 janvier. Alors que Chantal Jouanno souhaitait organiser un débat dans le respect des valeurs de la CNDP – indépendance, neutralité, transparence, égalité de traitement, argumentation –, Matignon, selon les révélations du média en ligne, a dans un premier temps fait pression sur elle pour obtenir le droit de contourner ces règles. Puis, face au refus de Chantal Jouanno, Édouard Philippe a finalement décidé de confier l’organisation du grand débat national aux ministres Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon.
"Aujourd’hui, le grand débat se limite à la possibilité de ne débattre que des quatre thèmes [transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’État et des services publics] et de ne répondre qu’aux questions qui sont posées par le gouvernement. Ce n’est pas ça un grand débat. Ça, c’est une consultation", a regretté Chantal Jouanno, le 25 janvier sur LCI.
????@Chantal_Jouanno sur le #GrandDébat :
"On n'est pas dans un #GrandDebat, on est dans une consultation... Quand vous procédez uniquement par un questionnaire, en réalité, la réponse est déjà faite, le débat est faussé"
???? #LaMatinaleLCI @PascaledeLaTour pic.twitter.com/GZD8RDLuYY
"Il y a effectivement eu un malentendu dès le départ, estime le politologue Pascal Perrineau, l’un des cinq garants chargés de veiller à l’indépendance du grand débat national, nommé par le président du Sénat Gérard Larcher, contacté par France 24. Il s’agit en effet davantage d’un grand processus de consultation sur des thèmes généraux. C'est différent de ce qu’a l’habitude de faire la CNDP avec des débats publics sur des sujets très précis. Là, les considérations ne sont pas les mêmes et les règles de la CNDP ne pouvaient pas être appliquées à la lettre, même si nous cherchons à nous en inspirer au maximum."
"Toute tentative d'ingérence du gouvernement serait extrêmement mal perçue"
Celles-ci précisent notamment qu’un débat national ne peut être placé "sous l’autorité d’un ministre", que les organisateurs du débat ne peuvent "exprimer un avis, ni une recommandation sur le fond du dossier" et que chaque intervenant "soit traité de la même manière, avec la même équité" (les principes de la CNDP dans leur intégralité sont consultables ici). De plus, Chantal Jouanno avait conseillé au gouvernement de ne pas instaurer de "lignes rouges". Or, dès le départ, Emmanuel Macron a affirmé qu’il ne reviendrait pas sur sa réforme de l’impôt sur la fortune (ISF).
"Mais dans tous les débats, on voit bien que les gens parlent systématiquement de l’ISF et que personne ne les empêche de le faire, souligne Pascal Perrineau. Donc ce sujet, comme d’autres qui dominent aussi les prises de parole des citoyens, remonteront forcément. Quant aux opérations de communication du président de la République – car c’est effectivement de cela qu’il s’agit lorsqu’il se rend dans des réunions où on met un public de maires face à lui –, elles n’entrent pas dans le cadre du grand débat. Les interventions d’Emmanuel Macron ne seront pas intégrées à l’ensemble des consultations."
Conscients malgré tout que des améliorations sont possibles, les garants ont formulé des recommandations au gouvernement "dans le but de renforcer la légitimité et le bon fonctionnement" du grand débat national. Ceux-ci ont ainsi demandé que les données recueillies soient totalement ouvertes et mises à la disposition des Français sur la plateforme numérique du débat. Ils ont aussi recommandé la création d’une nouvelle rubrique sur le site pour accueillir des contributions libres quel que soit le thème, au-delà des réponses aux questions du chef de l’État. Ils ont enfin suggéré un format de restitution qui aille dans le sens d'une conclusion collective des débats portée par l'ensemble des participants, à l'image du formulaire de restitution généralement utilisé par la CNDP.
Un point d’étape est prévu mardi avec Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon. Il sera notamment question de la méthodologie employée pour la restitution de l’ensemble des débats et contributions. Un enjeu de taille dont dépendra en partie la crédibilité du grand débat national.
Les plus sceptiques parient déjà sur compte-rendu qui ira forcément dans le sens de mesures voulues par l’exécutif. Mais pour Pascal Perrineau, une intervention de l’Élysée ou de Matignon semble inimaginable : "Il était évident que le débat politique allait continuer durant cette période et la communication avec. Mais toute tentative d’ingérence dans la restitution des débats serait extrêmement mal perçue. Or, les Français ont massivement décidé de jouer le jeu de la prise de parole. Donc comment voulez-vous que le gouvernement maîtrise ce grand débat ou qu’il le corsette ?"