
La visite du chef de la diplomatie américaine à Riyad, mardi, la deuxième depuis l'affaire Khashoggi, a tout d'un exercice d'équilibrisme : Mike Pompeo devra demander des comptes sur le meurtre du journaliste et préserver un partenariat stratégique.
Le secrétaire d'État américain poursuit sa tournée dans le Golfe avec une étape déterminante à Riyad, lundi 14 janvier. Mike Pompeo doit demander au prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, de "rendre des comptes" sur l'affaire Khashoggi, sans toutefois brusquer l'alliance jugée prioritaire avec l'Arabie saoudite.
Ce numéro d'équilibrisme diplomatique est le second du genre pour Mike Pompeo, qui avait, lors de sa précédente visite au plus fort de l'affaire sur le meurtre de l'éditorialiste Jamal Khashoggi, affiché un large sourire auprès de celui que l'on surnomme "MBS", ce qui avait suscité une certaine indignation à Washington.
Ce nouvel entretien politiquement sensible était initialement envisagé dimanche soir, à l'arrivée du chef de la diplomatie américaine à Riyad dans le cadre d'une longue tournée régionale. Au lieu de cela, il a eu un long aparté inattendu à l'aéroport avec le ministre d'État aux Affaires étrangères Adel al-Jubeir.
Mike Pompeo a "souligné l'importance pour l'Arabie saoudite de continuer son enquête sur le meurtre (...) afin que tous ceux qui sont responsables rendent des comptes", a indiqué le département d'État américain. Une demande qu'il a promis de réitérer auprès du jeune prince héritier auquel il doit réclamer de disposer "de tous les faits", laissant entendre que le compte n'y est pas encore pour Washington.
Où en est l'affaire Jamal Khashoggi ?
Le procès de 11 suspects s'est ouvert le 3 janvier en Arabie saoudite et le procureur général a requis la peine de mort contre cinq d'entre eux. L'administration du président Donald Trump a, de son côté, sanctionné 17 responsables saoudiens.
Cependant, plus de trois mois après le meurtre, le corps de Khashoggi, qui collaborait avec le Washington Post, n'a toujours pas été retrouvé et des zones d'ombre demeurent, dont l'identité du ou des commanditaires de cette opération menée par un commando de 15 agents saoudiens.
Sous pression, les autorités saoudiennes ont fini par admettre que le journaliste avait été drogué et qu'il était mort d'overdose avant que son corps ne soit démembré à l'intérieur du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. Elles ont en revanche totalement dédouané "MBS".
"Coalition" solide, pour autant
L'affaire a affecté le partenariat entre les États-Unis et le royaume sunnite, pilier traditionnel des alliances régionales de Washington, brouillant le message américain au moment où l'administration Trump tente de bâtir une "coalition" solide contre le pays qu'elle désigne comme l'ennemi commun, l'Iran chiite.
Bien que le Sénat américain, pourtant contrôlé par le camp républicain de Donald Trump, ait clairement imputé au prince héritier la responsabilité du meurtre, Washington a affirmé vouloir préserver les relations stratégiques avec le royaume, "incroyablement importantes pour les Américains".
Les États-Unis semblent donc avant tout pressés de tourner cette page, tout comme Riyad. Pour l'administration Trump, l'Arabie saoudite joue un rôle irremplaçable à plusieurs titres.
D'abord dans la lutte contre Téhéran, déjà compliquée par plusieurs obstacles comme la crise entre les Saoudiens et le Qatar voisin - un autre sujet que Mike Pompeo devait aborder à Riyad.
L'Arabie est aussi engagée, avec un soutien du Pentagone, dans la guerre au Yémen, contre les rebelles houthis appuyés par l'Iran. Sous pression là aussi du Sénat qui veut mettre fin à ce soutien militaire, la diplomatie américaine misait sur une résolution de ce conflit après des pourparlers fructueux en Suède, mais la situation reste tendue sur le terrain.
Ensuite, le locataire de la Maison Blanche a mis en avant les importants contrats de ventes d'armes américaines au royaume du Golfe.
Enfin, Donald Trump a longuement vanté ces derniers mois la baisse des prix du pétrole, laissant entendre que son choix de conforter envers et contre tout l'alliance avec cette pétromonarchie n'y était pas pour rien. Mais depuis le début l'année, les cours sont remontés à nouveau, l'Arabie saoudite, premier exportateur mondial, ayant confirmé vouloir diminuer ses ventes.
Dans ce contexte complexe, des défenseurs des droits humains ont aussi appelé le secrétaire d'État à presser Riyad de libérer des militantes saoudiennes emprisonnées, alors que des ONG internationales affirment qu'elles auraient été torturées et harcelées sexuellement.
"Je suis frappée par un sujet qui n'est pas inclus dans la visite de Pompeo : le sort des courageuses militantes en Arabie saoudite qui sont détenues dans les prisons du royaume juste pour avoir cherché à bénéficier de leurs droits et de la dignité", a écrit Alia al-Hathloul, la soeur d'une de ces femmes détenues, dans le New York Times.
Après Riyad, Mike Pompeo devait aller à Oman, puis au Koweït pour clôturer une tournée-marathon de neuf pays en huit jours.
Avec AFP