Les porte-parole désignés des “Gilets jaunes” ont en commun une forte présence sur Facebook. Un récent changement d’algorithme du réseau social a contribué à leur popularité et à celle du mouvement.
Il mange des chips, fume des clopes et raconte sa version du week-end de mobilisation des “Gilets jaunes” dans toute la France tout en répondant aux nombreuses questions des internautes. Maxime Nicolle, surnommé Fly Rider sur Facebook, fait tout ça en direct sur le réseau social, dimanche 2 décembre, pendant une vingtaine de minutes.
C’est devenu un rituel quotidien pour ce Breton qui enchaîne les “Facebook Live” depuis mi-novembre. Il s’est même filmé sous l’Arc de Triomphe durant la manifestation du 1er décembre. Ses vidéos, qui durent de deux minutes à plus d’une heure, attirent entre 30 000 et plusieurs centaines de milliers d’internautes. Elles traitent des raisons de la colère des “Gilets jaunes”, des incidents durant les manifestations ou encore du rôle de Maxime Nicolle au sein du mouvement.
Algorithme roi
Le succès de ses directs, tout comme ceux d’Éric Drouet – un autre internaute souvent perçu comme un porte-parole des “Gilets jaunes” –, s’explique en partie par un changement récent dans l’algorithme de Facebook. Instaurée début 2018, cette modification vise à promouvoir les contenus issus des pages de groupes, très utilisés par les sympathisants des “Gilets jaunes”.
Cette évolution de l’algorithme est au cœur de la stratégie du réseau social, qui cherche actuellement à effectuer un retour à sa mission originelle de favoriser les interactions entre individus. Son PDG, Mark Zuckerberg, échaudé par les controverses autour des “Fake news” et de la responsabilité de Facebook en tant que plateforme de diffusion d’informations, veut prendre ses distances avec les contenus des médias traditionnels.
Une aubaine pour Fly Rider, Éric Drouet et la myriade d’autres groupes Facebook qui ont vu le jour depuis le début de la contestation contre le gouvernement. Leurs messages remontent mieux dans le fil d’actualité des internautes, ce qui contribue à leur viralité et à la popularité du mouvement des “Gilets jaunes” en général.
Ce qu’Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information à l’université de Nantes, appelle l’”algorithme des pauvres gens” (au bénéfice des internautes et non plus des grands médias) est donc l’un des atouts maître du mouvement de contestation français. “Avec l'effondrement des corps intermédiaires (syndicats et partis politiques notamment), [...], et avec la multiplication et la prégnance des écrans et des pratiques connectées substitutives à la sociabilité physique, ‘l'algorithme des pauvres gens’ n'est pas simplement un changement technique mais il dessine en creux un changement de sociabilité”, analyse Olivier Ertzscheid sur son blog.
Mark Zuckerberg avait d’ailleurs clairement affiché ses ambitions dès février 2017. Dans sa lettre aux utilisateurs, il avait affirmé que Facebook – et plus spécifiquement les groupes – pouvait servir à développer “des nouveaux processus participatifs dans des prises de décisions collectives pour les citoyens du monde”.
Mais au lieu d’innover, Facebook a plutôt servi à remplacer. Dans le cadre du mouvement des “Gilets jaunes”, les groupes semblent remplir le rôle jadis joué par les syndicats, souligne le site de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles. Au lieu de discuter des batailles à venir dans l’atmosphère d’une centrale syndicale, les manifestants des temps modernes échangent sur les réseaux sociaux. Ainsi les pages “Fly Rider infos blocage” ou “La France en colère” ne donnent pas seulement des informations sur le programme des actions à leurs dizaines de milliers de membres. Elles reflètent aussi l’évolution des revendications, passées de combat contre les hausses de la taxe sur les carburants à grogne plus générale contre la politique d’Emmanuel Macron.
Tout comme le syndicat à papa, le groupe Facebook se décline aussi au niveau local avec des pages dédiées aux actions départementales. Pour parfaire ce passage de relais, l’administrateur de groupe Facebook serait devenu le délégué syndical, c’est-à-dire celui qui est reçu par le gouvernement pour chercher une issue à la crise. François de Rugy, ministre de la Transition écologique, s’est d’ailleurs entretenu avec Priscilla Ludosky et Éric Drouet, deux des responsables du groupe “La France énervée”.
Rejet des médias traditionnels
Dans le cas des “Gilets jaunes”, cette évolution numérique du rapport social s’accompagne aussi d’une défiance à l'encontre des médias traditionnels. Les sympathisants du mouvement appellent à s’en détourner, et les groupes Facebook sont remplis de messages critiques à l’égard de la couverture médiatique des événements. La multiplication des “Facebook Live” de manifestants donne aussi l’impression aux internautes d’être au cœur des événements et d’avoir accès à une information de première main, qui ne serait pas passée par le filtre des choix éditoriaux. Des médias plus établis, comme Brut, ont également recours aux lives, avec un succès similaire.
Dans certains cas, comme avec Fly Rider, la frontière est cependant ténue entre le témoignage simplement engagé et la propagation de fausses informations. Lors de son intervention en direct, dimanche 2 décembre, il a ainsi affirmé à plusieurs reprises que des policiers s’étaient déguisés en “casseurs” et qu’il existait nombre de vidéos attestant cette manipulation des forces de l’ordre. L’équipe des Observateurs de France 24 a analysé plusieurs de ces extraits sans pour autant conclure que ces derniers prouvaient une quelconque duplicité de la police.