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"Bébés génétiquement modifiés" : la boîte de Pandore de He Jiankui

Le chercheur chinois He Jiankui persiste et signe : il maintient, toujours sans preuve, avoir créé les premiers bébés génétiquement modifiés. Une affirmation qui met la Chine et les spécialistes des outils de manipulation génétique dans l’embarras.

He Jiankui a décidé de “faire une pause” dans ses essais cliniques très controversés. Après avoir suscité un tollé international, le scientifique chinois a annoncé, mercredi 28 novembre, ne pas poursuivre, pour l’instant, ses expériences de manipulations génétiques sur des embryons humains.

Quelques heures plus tôt, il avait réaffirmé, devant l’assemblée du deuxième sommet international sur l’édition du génome humain, à Hong Kong, avoir réussi à immuniser des jumelles contre le VIH. Il n’a, cependant, toujours pas apporté la preuve scientifique de ce qu’il avance .

La Chine remontée

L’annonce de l’interruption des recherches n’a pas suffi à calmer les esprits. “Le fait qu’un chercheur se soit lancé dans une expérience d’une telle importance en dehors de toutes les institutions, c’est-à-dire sans offrir toutes les garanties scientifiques nécessaires, est extrêmement choquant”, a résumé Anne Cambon-Thomsen, directrice émérite au CNRS et membre du Groupe européen de réflexion sur l’éthique et les nouvelles technologies, contactée par France 24.

La Chine, où l’utilisation des techniques de modification génétique sur des cobayes humains est interdite comme dans la plupart des pays du monde, est particulièrement remontée contre son chercheur. He Jiankui a, en effet, mené son expérience à l’insu des autorités. L’université de Shenzhen (sud de la Chine) à laquelle il est rattaché a confirmé ne pas avoir eu connaissance de ce projet. “Toute la question est, maintenant, de comprendre comment ce scientifique a pu mener ses recherches sans que personne ne soit, semble-t-il, au courant”, reconnaît Christophe Galichet, chercheur au Francis Crick Institute, un centre de recherche qui travaille sur l’édition génétique, contacté par France 24.

Pékin a ouvert une enquête pour tenter de faire toute la lumière sur cette affaire. Le pays n’a pas besoin d’apparaître comme une sorte de “Far West” scientifique où des chercheurs peuvent mener en toute discrétion des expériences interdites. Les autorités ont multiplié par 30 les fonds alloués à la recherche ces vingt dernières années et elles ont dépensé 234 milliards de dollars en 2016 pour tenter de s’imposer comme un acteur sérieux et incontournable de la scène scientifique internationale, rappelle le quotidien britannique The Guardian. Ce genre d’incident risque de nuire à sa crédibilité.

Dr Frankenstein 2.0

Il en va de même pour la recherche s’appuyant sur la technique d’édition génétique Crispr, celle utilisée par He Jiankui. L’outil est puissant et d’une efficacité redoutable : il s’agit d’une technologie de découpage génétique qui permet d’altérer un gène en ajoutant ou en enlevant des informations. Des milliers de laboratoires s’en sont emparés dans le monde dans le cadre, par exemple, de la lutte contre les maladies génétiques, rendre la vue à des rats de laboratoire atteints de cécité ou encore un projet de reconstitution d’un mammouth.

Mais Crispr n’a jamais été utilisé sur des cobayes humains. “La technologie est pleine de promesses mais sur le plan éthique, on n’a pas encore suffisamment de garanties pour se permettre de faire des modifications génétiques qui sont irréversibles et héréditaires”, explique Anne Cambon-Thomsen. He Jiankui a ouvert cette boîte de Pandore. “Le risque est de susciter une réaction de rejet par le public qui trouverait ces outils trop dangereux surtout s’ils tombent entre les mauvaises mains”, craint Christophe Galichet. Pour Pete Mills, directeur adjoint du Nuffield Council (un organisme britannique indépendant de bioéthique), “l’attitude inconsciente du scientifique chinois met en péril le développement de nouvelles applications de Crispr”.

Ces scientifiques craignent que les travaux de He Jiankui - même si le but poursuivi est louable - fassent naître dans le public des fantasmes de Dr Frankenstein 2.0 armés de ciseaux Crispr. “Le risque de dérives vient aussi du fait que l’outil est relativement simple à utiliser par un scientifique et ne nécessite pas d’infrastructures énormes”, reconnaît Raphaël Margueron, directeur scientifique de l’équipe Crispr’it à l’Institut Curie, contacté par France 24. C’est ce qui explique, en partie, comment le scientifique chinois a pu agir sans attirer l’attention.

Le danger est cependant à relativiser. Crispr ne permet pas encore de refaçonner tout le génome humain à sa guise. He Jiankui a travaillé sur des embryons humains au moment de la fécondation “où il n’y a qu’une seule cellule sur laquelle agir, alors que c’est bien plus compliqué pour une personne adulte”, souligne Raphaël Margueron. La manipulation génétique peut aussi produire des effets inattendus ou mal maîtrisés à même de dissuader les apprentis manipulateur de gènes. Par exemple, “il est possible, en théorie, de créer des enfants avec de yeux bleus grâce à Crispr, mais la modification génétique nécessaire peut avoir un effet sur d’autres caractéristiques”, souligne Christophe Galichet.

Pour cet expert, l’attitude du scientifique chinois a au moins un aspect positif. Elle braque les projecteurs médiatiques sur une technologie encore méconnue du grand public et doit inciter les scientifiques à se montrer aussi transparents que possible sur la recherche dans ce domaine afin de dissiper tout éventuel malentendu. Cette affaire démontre que “la communauté internationale doit être au taquet pour trouver une réponse à ce genre d’initiatives isolées”, estime-t-il. Le timing ne pouvait être meilleur, avec tous les plus grands experts en manipulation génétique réunis à Hong Kong. Reste à savoir s’ils seront à la hauteur du défi.