L’élection de Jair Bolsonaro a longtemps été espérée par les mouvements néo-conservateurs très actifs au Brésil. Dans les écoles, les enseignants sont les premiers à sentir le vent d’une chasse aux sorcières annoncée.
Avec l’élection de Jair Bolsonaro, la gauche brésilienne, déjà meurtrie par la destitution de Dilma Rousseff (qu’elle considère comme un coup d’État parlementaire) et l’emprisonnement de Lula (fruit d’une procédure judiciaire partiale selon elle), craint désormais qu’une vaste chasse aux sorcières commence dès le 1er janvier 2019, date de la prise de fonctions de l’ex-capitaine des forces armées.
Dans l’immédiat, le Brésil connaît une période de transition : à Brasilia, l’équipe du président élu et celle du président sortant se concertent et collaborent, notamment pour faire aboutir une réforme de l’assurance maladie très controversée.
Sur le terrain, les militants pro-Bolsonaro n’attendent pas l’intronisation de leur champion pour marquer des points dans la "guerre culturelle" qu’ils mènent depuis des années, espérant la faire définitivement tourner en leur faveur. Premier champs de bataille, l’école.
"Escola sem partido - École sans parti" et la délation des enseignants
Le 30 octobre, deux jours à peine après l’élection de Jair Bolsonaro, l’une de ses députés nouvellement élus, Ana Caroline Campagnolo, a lancé un appel à ses 70 000 followers sur Facebook pour encourager les élèves des collèges et lycées à dénoncer les professeurs qui exprimeraient "des positions politiques, partisanes ou idéologiques" en les filmant, et en postant ces vidéos sur les réseaux sociaux.
Une semaine plus tard, "son" président a apporté son soutien à cette campagne de délation en se disant favorable à ce que les élèves filment leurs professeurs, alors qu'on lui demandait si cette pratique ne relevait pas d'un régime autoritaire. "Je trouve que le professeur doit être fier si un élève lui demande 'professeur, est-ce que je peux filmer votre cours pour le revoir à la maison ?'. Ils doivent être fiers de ça et ne pas s'en inquiéter", a ajouté le futur chef de l'État brésilien.
Son fils, le député de São Paulo, Eduardo Bolsonaro, a enfoncé le clou en twittant que "les élèves doivent filmer les militants déguisés en professeurs" .
O QUE É O ESCOLA SEM PARTIDO? ALUNOS DEVEM FILMAR OS MILITANTES TRAVESTIDOS DE PROFESSORES?https://t.co/dbUO5cx0V1 pic.twitter.com/hvVdxSypFD
Eduardo Bolsonaro 17 (@BolsonaroSP) 7 novembre 2018Un projet de loi pour "extirper le gauchisme de l’éducation"
Ana Caroline Campagnolo, n’en est pas à son coup d’essai. En 2016, elle avait traîné en justice sa professeure d’histoire de l’université d’État de Santa Catarina qu’elle accusait de persécution idéologique. Membre d’ "École sans parti" (Escola sem partido), une organisation fondée en 2004 pour lutter contre le marxisme supposé des enseignants brésiliens et "l'endoctrinement" des élèves.
Depuis une dizaine d’années, ce groupe ultra-conservateur a gagné du terrain au Brésil. "Escola sem Partido" veut bannir des écoles l’utilisation de certains mots tels "genre" ou "orientation sexuelle" et remet en question le contenu des programmes d’histoire. Pour ces activistes, Pinochet n’était pas un dictateur, mais le sauveur de sa patrie menacée par le communisme.
Organisant sans relâche manifestations (parfois violentes) et pétitions visant des intellectuels défendant la théorie du genre, il préconise aussi de rendre optionnel l’enseignement des sciences sociales et de la philosophie.
"Escola sem Partido" a déjà remporté quelques batailles. Un projet de loi qui porte son nom est actuellement débattu au Parlement. Il prévoit des sanctions pénales contre les enseignants coupables de "dogmatisme ou de prosélytisme" et affirme "le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent l’éducation morale qui correspond à leurs convictions". Il pourrait être adopté avant la fin de l’année, devançant ainsi le programme du candidat Bolsonaro en matière d’éducation qui se résumait à un slogan "Mathématiques, sciences et portugais, oui. Endoctrinement et sexualisation précoce, non".
Intimidation et chasse aux sorcières
De groupe radical et minoritaire, "Escola sem partido" fait désormais figure de maître à penser du nouveau Président brésilien sur le thème de l’éducation. Depuis deux semaines, son influence commence déjà à se faire sentir dans les salles de classes.
Un professeur d’histoire du collège Santa Cecilia à Fortaleza a été pris à parti sur les réseaux sociaux après qu’un élève a diffusé les images d’un cours où ce dernier projetait un film sur les crimes commis par la dictature militaire au Brésil. Jam Silva Santos montrait ce film à ses élèves depuis cinq ans, sans problèmes particuliers. Le syndicat des professeurs de l’État Ceara a relevé en 2018 cinq autres cas de professeurs victimes de campagnes haineuses sur les réseaux sociaux et accusés à chaque fois "d’endoctrinement idéologique" des élèves.
Fake news et rupture avec la politique éducative du PT
L’éducation est un enjeu majeur au Brésil. Les ex-présidents Lula da Silva et Dilma Rousseff ont engagé pendant les treize années de gouvernement du Parti des travailleurs (PT) (2003-2016) des réformes et des moyens accrus pour améliorer la qualité de l’éducation dans le primaire et dans le secondaire et de favoriser l’accès à l’université des classes populaires et des minorités noire et indigène.
Des mécanismes de discrimination positive que Jair Bolsonaro a prévu d’éradiquer dans son programme de gouvernement, privilégiant la création d’écoles et d’universités privées ainsi que l’enseignement à distance.
Pendant la campagne du second tour, le candidat d’extrême droite n’avait d'ailleurs pas hésité à attribuer à son rival Fernando Haddad, l’introduction dans les écoles d’un "kit gay", qui en fait n’était qu’un projet de campagne d’éducation sexuelle finalement abandonné par l’ex-ministre de l’éducation (2006-2012) de Lula.
Mais cette fake news, relayé des millions de fois sur Whatsapp a conduit le candidat du PT à se défendre pendant des jours face à un adversaire qui accusait le PT "d'endoctrinement des enfants à l'homosexualité ".