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En Nouvelle-Calédonie, un référendum aux enjeux historiques

La Nouvelle-Calédonie est appelée à se prononcer sur son indépendance lors d'un référendum ce dimanche 4 novembre. Cette consultation, qui constitue un rendez-vous historique dans le processus de décolonisation, peine à intéresser la population.

"Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" C'est la question à laquelle vont répondre les électeurs de cet archipel français situé dans le Pacifique Sud lors du référendum du dimanche 4 novembre. Un scrutin qui divise depuis des décennies les indépendantistes et les loyalistes favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République. France 24 revient sur les principaux enjeux de cette consultation :

  • Pourquoi ce vote "historique" a-t-il suscité peu d’intérêt pendant la campagne ?

De l’aveu même du journal local Les Nouvelles Calédoniennes, le référendum peine à "attirer les projecteurs" et a suscité une maigre couverture médiatique. Cette consultation historique vient pourtant ponctuer un processus entamé il y a plus de 30 ans par les accords de Matignon (1988), sous l’égide du Premier ministre de l’époque Michel Rocard. La poignée de mains entre l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et le loyaliste Jacques Lafleur avait amorcé la procédure de réconciliation après les "événements", ces quatre années de quasi-guerre civile (1984-1988) entre Kanak et Caldoches. Les tensions avaient culminé avec la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988, qui avait fait 25 morts au total.

Les accords de Matignon prévoyaient une période de 10 ans de développement économique, social, culturel et institutionnel avant la tenue d’un référendum d’auto-détermination en 1998. Il sera finalement reporté à 2018, en vertu de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, qui organise la poursuite de la revalorisation de la culture kanak et l’émancipation progressive de l'archipel.

Aujourd'hui, le rendez-vous tant attendu ne mobilise pas les troupes, confirme sur France 24 le géographe Pierre-Christophe Pantz, chercheur à l’université de Nouvelle-Calédonie, qui évoque "un relatif désintérêt pour la campagne", et notamment chez les jeunes. "C’est assez paradoxal par rapport à cet enjeu historique mais la génération qui a aujourd’hui 20 ou 30 ans n’a pas connu ces affrontements. Habituée à vivre en paix, elle porte donc peu d’intérêt au référendum", décrypte-t-il. Depuis 2004, les différentes élections provinciales en Nouvelle-Calédonie ont connu une baisse de la participation.

Les électeurs peinent d’autant plus à se mobiliser que le résultat du vote semble déjà couru d’avance. Selon le dernier sondage commandé par la chaîne Nouvelle-Calédonie La Première, le "non" à l'indépendance arrive largement en tête, avec 66 % des sondés, contre 34 % pour le "oui". "Depuis un an, les six sondages effectués sur le référendum n’ont guère évolué", commente Pierre-Christophe Pantz. "Les élections provinciales, qui sont une sorte de baromètre politique en Nouvelle-Calédonie, montrent que ces tendances n’ont pas changé en 30 ans. Au final, les habitants sont peut-être convaincus qu’on se dirige vers un statut quo plutôt que vers un nouveau statut." Pour le chercheur, le réel enjeu de ce vote sera le taux de participation.

En Nouvelle-Calédonie, un référendum aux enjeux historiques
  • Pourquoi la liste électorale pour le référendum fait-elle polémique ?

Cette question fait l’objet d’un vif débat sur l’île depuis les accords de 1988 en raison de la coexistence de plusieurs listes électorales (la liste spéciale pour le référendum ; la liste électorale spéciale pour les provinciales et la liste électorale générale qui permet de voter aux scrutins nationaux). Pour être inscrit sur la liste référendaire, il faut l’être sur la liste générale mais les critères sont plus restrictifs.

Au total, 174 154 électeurs sont inscrits sur la liste spéciale pour le référendum car ils ont pu justifier d'une résidence continue dans l'archipel depuis au moins le 31 décembre 1994. Les Kanak, qui ne représentent plus que 39 % de la population, forment 63 % de ce corps électoral, selon le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).

Dans cette liste, il y a des gens qui n’ont strictement rien à faire puisqu’il s’agit d’un référendum de décolonisation tel que défini par l’ONU, déplore sur France 24 Bernard Alleton, membre du collectif Solidarité kanaky. "Normalement, cela concerne les personnes colonisées et pas les colons. Si les colons ont le droit de vote, le référendum est faussé."

  • Quelles sont les arguments des forces en présence ?

La famille indépendantiste est dominée par le FLNKS, un regroupement de quatre partis politiques, qui appelle le "peuple kanak" à "conclure un combat qui dure depuis 164 ans". Durant la campagne du référendum, la formation a défendu un projet d'État souverain -"Kanaky-Nouvelle-Calédonie"-, assorti d'un partenariat ou d'un accord de coopération avec la France.

L'archipel doit prendre le chemin de l'indépendance notamment pour réformer l'économie, estiment les militants indépendantistes de l’Union calédonienne. Parmi eux, Pascal Sawa, interrogé par France 24, estime que les inégalités économiques sont le fruit d'une économie héritée de la colonisation privilégiant quelques grandes familles. "Cette espèce d'économie de comptoir que l'on qualifiait d'économie coloniale, ça perdure. Du coup, il y a une fracture trop grande entre ceux qui dirigent et la base, les Kanak principalement, qui constituent la majorité de la population", dénonce-t-il.

Selon le chercheur Pierre-Christophe Pantz, un rééquilibrage économique à l’égard des Kanak a été mis en place depuis 30 ans, ainsi que des mesures sociales, mais cela n’a pas suffi à gommer les disparités. "Quand on regarde objectivement les statistiques ethniques, puisque ça existe en Nouvelle-Calédonie, on se rend compte qu’il y a encore des inégalités. Ce manque d’équité entre toutes les communautés en Nouvelle-Calédonie nourrit encore aujourd’hui la revendication anti-indépendantiste", ajoute-t-il.

Dans le camp du non, on insiste sur les apports de la métropole :  "La France est une chance" ou "Pour une Nouvelle-Calédonie dans la France et dans la paix", affichent les slogans de campagne. Rompre avec Paris semble insensé pour les anti-indépendantistes, à l’image de la militante Annie Qaeze, interrogée par France 24. "On ne peut pas se sécuriser nous-mêmes ! Donc la France va nous protéger par rapport aux puissances externes", affirme-t-elle avant d’ajouter : "L'essentiel, c'est que les jeunes puissent avoir accès à l'enseignement français."

En Nouvelle-Calédonie, un référendum aux enjeux historiques

De son côté, le président de la République Emmanuel Macron n'avait pas souhaité "prendre parti dans ce référendum" mais a affirmé lors d’un déplacement à Nouméa en mai que "la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie". Sans compter que l’Hexagone a beaucoup à perdre aussi puisque l'archipel français se hisse au 6e rang des producteurs mondiaux de nickel, une matière première essentielle pour la Chine qui produit les appareils électroniques.

Un autre référendum est-il possible ?

"Ce qui est important, c’est la construction de l’après, a affirmé la ministre des Outre-Mer Annick Girardin sur France 24. Au lendemain de ce rendez-vous, il faudra reprendre le dialogue et voir, au vu du résultat, ce qu’on fait et ce qu’on construit." Le Premier ministre se rendra sur place le 5 novembre au matin, pour réunir les différents acteurs quel que soit le résultat.

En cas de victoire massive du non, le député Les Républicains non-indépendantiste Pierre Frogier a annoncé cette semaine vouloir déposer une proposition de loi constitutionnelle pour éviter les deux autres référendums prévus par les accords de Nouméa. "En Nouvelle-Calédonie, rien ne s’est fait sans le dialogue et on ne peut pas imaginer qu’aujourd’hui, on puisse rompre avec ce 2e et 3e référendum sans une discussion préalable", commente le chercheur Pierre-Christophe Pantz. Un sujet qui, lui, pourrait provoquer des tensions.