
Le président turc a tenté d'apporter des précisions sur l'affaire Khashoggi, qui embarrasse Riyad. Dans un discours au Parlement, mardi, il a réaffirmé que le meurtre du journaliste a été planifié, et que justice doit être rendue en Turquie.
Avec le sens de la mise en scène et l'opportunisme politique qu'on lui connaît, Erdogan a donné un nouveau numéro, mardi 23 octobre. Le président turc assurait détenir des éléments nouveaux qui permettaient d'établir "toute la vérité" sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. "Vérité" qu'il a livrée devant le Parlement à Ankara et surtout devant les médias du monde entier, qui cherchent à y voir clair dans cette rocambolesque affaire.
Le président turc est surtout revenu sur les étapes de l'enquête menée par les autorités turques, assurant que le meurtre de Khashoggi avait été "planifié" des jours à l'avance.
Recep Tayyip Erdogan a également souligné les zones d'ombre de l'enquête et affirmé qu'il voulait savoir "qui a donné les ordres" aux tueurs et où se trouve le corps du journaliste. Le président turc a, enfin, déclaré qu'il souhaitait que les suspects de cette affaire soient jugés à Istanbul.
Jamal Khashoggi, opposant saoudien de 59 ans, très critique du régime saoudien, s'était rendu au consulat de son pays à Istanbul le 2 octobre, pour une démarche administrative. Il n'en était pas ressorti vivant.
La Turquie et son président sentent bien le profit politique qu'il peuvent tirer de cet incident au retentissement planétaire. Car même si l'Arabie saoudite reste un "pays frère et ami", comme l'assure le porte-parole du parti au pouvoir, le voir se débattre pour trouver une explication crédible à la mort de Khashoggi fait les affaires d'Ankara.
Plus habitué à recevoir des leçons en matière de droits de l'Homme et sur le respect des opposants, Erdogan est accusé par certains observateurs de surjouer l'indignation dans cette affaire et de vouloir la faire durer le plus longtemps possible. De fait, ce sont les Turcs qui ont tout de suite mis à mal la thèse officielle de l'Arabie saoudite, selon laquelle M. Khashoggi était ressorti du consulat.
Dès le 6 octobre, une source proche du gouvernement révélait que la police était convaincue que le journaliste avait "été tué au consulat par une équipe venue spécialement à Istanbul et repartie dans la même journée". M. Erdogan appelait alors les autorités saoudiennes à appuyer leurs dires avec des preuves.
Les "mensonges" de Riyad
Du côté de Riyad, on a fini par avouer, samedi, que le journaliste était bel et bien mort au consulat, lors d'une "rixe". Il s'agissait d'une "opération non autorisée" par le pouvoir, et dont le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) n'était pas informé.
Après la succession de révélations dans la presse, toutes plus glaçantes les unes que les autres, cette version a convaincu peu de monde, et surtout pas les Occidentaux. "Je ne suis pas satisfait de ce que j'ai entendu", a dit lundi à la presse le président américain, Donald Trump, qui avait déjà déploré la veille les "mensonges" de Riyad. Son gendre et conseiller Jared Kushner a de son côté conseillé au prince héritier, Mohammed ben Salmane, "d'être transparent".
"Nous devons connaître toute la vérité sur ce qui s'est passé", a affirmé la Première ministre britannique, Theresa May.
La Turquie a enfoncé le clou
"Nous sommes face à une situation qui a été sauvagement planifiée et des efforts conséquents ont été déployés pour dissimuler" ce meurtre, avait déjà avancé le porte-parole du parti au pouvoir en Turquie (AKP), Omer Celik. Un conseiller de M. Erdogan, Yasin Aktay, avait écrit dans le quotidien Yeni Safak que la version saoudienne "donne l'impression qu'on se paie la tête de nos services de renseignement". Le chef d'un commando de 15 Saoudiens dépêché à Istanbul pour tuer M. Khashoggi a appelé le directeur de cabinet de "MBS", Bader al-Asaker, "quatre fois après le meurtre", avait ajouté M. Aktay.
Mais M. Erdogan s'est une nouvelle fois gardé d'attaquer frontalement le pouvoir saoudien.