L’attentat perpétré à Kandahar, deux jours avant les législatives de samedi, est révélateur de la menace qui pèse sur scrutin, mais aussi de la puissance des Taliban, 17 ans après le début de la guerre engagée par les Américains.
L’appareil de sécurité de l'une des provinces les plus importantes d’Afghanistan sur le plan stratégique décimée dans un attentat à 48 heures des législatives. Si les attaques des Taliban, mais aussi de l’organisation É ta t islamique (EI), ont émaillé la campagne électorale, l’attentat spectaculaire survenu jeudi 18 octobre à Kandahar a surpris par son degré d’aboutissement. Signe de l’impact de la fusillade, les autorités afghanes ont décidé de repousser d'une semaine les élections législatives dans la province.
Une attaque aboutie, bien préparée par les Taliban
Perpétrée à l'intérieur d'un bâtiment gouvernemental fortifié – le palais du gouverneur de la province Kandahar – l’attaque de jeudi a, de plus, eu lieu à l’issue d'une réunion de haut niveau consacrée à la sécurité du scrutin à laquelle participait le général américain Scott Miller, commandant des forces de l'Otan en Afghanistan. Si ce dernier est sorti indemne de la fusillade, dont l'auteur est un infiltré taliban, le général afghan Abdul Razeq, l'un des plus importants responsables de la sécurité du pays, et le chef local du NDS, les services de renseignement afghans, ont péri.
"Pour que les Taliban puissent mener une telle attaque au sein du palais du gouverneur, c’est qu’ils disposaient de bonnes informations et d’une bonne préparation car le chef des forces de l’Otan n’annonce pas sa venue publiquement", souligne Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des réseaux jihadistes.
" É lections ou pas, la mort du général Razek dans l’attentat de Kandahar va avoir de grandes répercussions politiques et sécuritaires dans le sud du pays", confirme Romain Malejacq, spécialiste de l'Afghanistan, professeur à l'Université de Radboud aux Pays-Bas.
Car Abdul Razeq n’était pas un général lambda : "Il était un faiseur de roi dans le sud de l’Afghanistan. C’était l’homme des Américains, il avait rejoint les forces anti-Taliban dès 2001. Il n’était pas blanc comme neige mais il faisait le job", explique Wassim Nasr. Qualifié de "tortionnaire en chef" par Human Rights Watch, Abdul Razeq avait gravi les échelons pour devenir l'un des responsables de sécurité les plus puissants d'Afghanistan.
"Les Taliban ont eu l’haleine beaucoup plus longue que les Américains"
Face à l’événement, les réactions américaines ont été extrêmement mesurées. Le ministre américain de la Défense, Jim Mattis, a ainsi affirmé, vendredi, que l'assassinat du général Abdul Razeq ne changerait rien à la situation sécuritaire dans la province de Kandahar. "J'ai vu les responsables de la sécurité qui l'entouraient. J'ai vu les progrès des forces de sécurité afghanes", a indiqué Jim Mattis avant d’ajouter : "Je ne crois pas que cela aura un effet à long terme sur la région". Une déclaration en accord avec celle du porte-parole du Pentagone, le lieutenant-colonel Kone Faulkner, qui a qualifié l’attentat d’"incident entre Afghans" et affirmé que le général américain n'était pas visé : "La cible était le général Razeq".
D'après le centre américain de surveillance des sites internet jihadistes (Site), pourtant, les Taliban ont clamé que "les principales cibles de l'attaque étaient le général Miller et le directeur de la sécurité de Kandahar, le brutal général Abdul Razeq".
Cette volonté de la part des Américains de relativiser l’importance de l’attentat n’est, somme toute, pas étonnante selon Romain Malejacq : "Cette attaque contredit le discours de l’administration américaine qui veut que la situation en Afghanistan s’améliore alors que cela va de pire en pire". De fait, les Taliban, qui contrôlent de vastes pans du pays, sont parvenus ces derniers mois à s'emparer de nouveaux territoires et s'en sont même pris à des capitales provinciales.
Depuis l’opération "Liberté immuable", lancée le 7 octobre 2001 en Afghanistan en représailles des attentats du 11-Septembre pour " attaquer la capacité militaire des Taliban", 17 années se sont écoulées et trois administrations américaines se sont succédé. Et la guerre n’est ni gagnée, ni même finie pour les Américains : " Beaucoup de chercheurs et de politiques américains ont admis que la guerre était perdue. Et aujourd’hui, les Américains cherchent la sortie la plus honorable possible. Les Taliban le savent et ils en profitent", analyse Wassim Nasr. Et le spécialiste des réseaux jihadistes de résumer : "Les Taliban ont eu l’haleine beaucoup plus longue que les Américains".
Signe que le rapport de force est en leur faveur, une rencontre officielle a eu lieu la semaine dernière au Qatar entre une délégation de Taliban et l'émissaire américain pour la paix en Afghanistan, Zalmai Khalilzad. "Une rencontre dont était exclu le gouvernement de Kaboul, ce qui était une condition des Taliban pour accepter de se mettre à table avec les Américains", explique Wassim Nasr.
L’attentat de Kandahar va-t-il troubler la reprise officielle du dialogue entre Américains et Taliban ? "Les attaques sont, en fait, rarement suspendues pendant un processus de négociations. Les Taliban montrent ainsi qu’ils sont en position de force", estime Romain Malejacq.
Les attaques se sont poursuivies, vendredi, dans le reste du pays pour entraver la tenue du scrutin. Alors que dix candidats ont été assassinés pendant la campagne et que des dizaines de civils ont perdu la vie lors de réunions électorales, les observateurs redoutent des attentats contre les centres de vote samedi matin pour dissuader les électeurs d’aller voter.
Pour Wassim Nasr, "les urnes sont visées par les Taliban et l’EI, les gens vont aller voter au péril de de leur vie".