
La pauvreté a augmenté en France en dix ans, passant de 4,4 à 5 millions de personnes vivant avec moins de 50% du revenu médian, selon un rapport publié jeudi. Les jeunes de moins de 30 ans et les familles monoparentales sont les plus touchés.
600 000 personnes pauvres supplémentaires, en dix ans, en France. C'est le constat que réalise l’Observatoire des inégalités, une association reconnue d'intérêt général, dans un rapport publié jeudi 11 octobre. Cet état des lieux de la pauvreté révèle que le nombre de Français avec un revenu inférieur à 855 euros par mois est passé, entre 2006 et 2016, de 4,4 à 5 millions. De 2013 à 2016, une stabilisation du phénomène a toutefois été observée, avec une diminution de 100 000 personnes.
“Nous ne sommes plus dans une période d’augmentation de la pauvreté, il y a du mieux, mais la situation reste fragile”, tempère Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, interrogé par France 24. Le rapport de l’association précise d'ailleurs qu'il n'y a pas d'explosion de la misère : “Ce qui se passe aujourd’hui dans les sociétés occidentales n’est pas un appauvrissement massif des plus pauvres, mais une augmentation du nombre de personnes qui décrochent du niveau de vie des classes moyennes.”
“La pauvreté ne frappe pas par hasard”
Parmi les plus touchés par la pauvreté figurent les jeunes âgés de moins de 30 ans et les familles monoparentales. Pour les jeunes, “c’est la question du rapport au travail qui est essentielle, avec un public touché par les contrats précaires et les difficultés d’intégration professionnelle", explique Maryse Bresson, professeure et auteure du livre “Sociologie de la précarité”. Dans le cas des familles monoparentales, la situation vient de "la fragilité du lien conjugal”.
Comme le note l’Observatoire des inégalités, “la pauvreté ne frappe pas par hasard” et concerne surtout les populations vulnérables. Près de 12% des jeunes adultes, âgés de 20 à 29 ans, sont pauvres, mais “les personnes qui accèdent à un diplôme ne rencontrent pas les mêmes difficultés”, constate Louis Maurin. Il est en effet précisé dans le rapport que le taux de pauvreté des non-diplômés “est trois fois supérieur à celui des diplômés d’un bac+2”.
Parmi les multiples causes qui peuvent expliquer cette pauvreté, il faut prendre en compte “le chômage qui existe dans notre société depuis plusieurs décennies”, explique Louis Maurin. Il touche les jeunes en quête d’un emploi, mais aussi les familles monoparentales quand celles-ci n’exercent pas une activité partielle, qui les précarise aussi.
Des femmes seules en "situation de survie"
Christiane Diemunsch, vice-présidente de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM), organise une fois par semaine en Alsace des groupes de parole avec des bénéficiaires du RSA. Parmi ces derniers, “80% sont des familles monoparentales et principalement des femmes”, précise-t-elle. “La plupart des femmes se débrouillent sans leur conjoint, absent", poursuit-elle. "Elles sont en difficulté sur tous les plans : le seul fait de laisser leur enfant à la cantine, même avec une tarification sociale, c’est un effort pour elles. Elles font par ailleurs des horaires compliqués dans la même journée, tôt le matin et tard le soir, par exemple en faisant des ménages.”
Ce public est “dans une situation de survie”, affirme la vice-présidente de la FSFM, pour qui ces femmes “ont l’impression d’être endettées auprès de leur réseau personnel, qui les aide parfois, et de leur société” avec un recours à certaines prestations sociales comme le RSA.
“Amortir le choc de la pauvreté”
Selon le rapport, le modèle social français permet au moins d'amortir le taux de pauvreté. “Les prestations sociales permettent à plus de cinq millions de personnes d’échapper à la pauvreté. Sans ce système de protection sociale, tel qu’il existe et avec tous ses défauts, ce ne serait pas 14 % mais 22 % des Français qui vivraient avec moins de 1026 euros par mois [soit le seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian].”
Les allocations logement, chômage et les autres services publics gratuits permettent à “beaucoup de personnes très modestes d’éviter la misère et la rue”, affirme aussi l’Observatoire des inégalités. Pour son directeur, Louis Maurin, “il faudrait encore un pognon plus dingue pour amortir le choc de la pauvreté". Malgré tout, "le modèle social français protège, et protège mieux que dans d’autres pays.”
“Tout dépend des politiques qu’on mène”, estime Maryse Bresson. Concernant le plan de lutte contre la pauvreté présenté par Emmanuel Macron début septembre, la sociologue trouve qu’il y a dans l’ensemble des mesures intéressantes, mais elle n’a “pas l’impression que la courbe de la pauvreté peut être inversée”. Pour Louis Maurin, “les moyens financiers de ce plan ne sont pas à la hauteur, et ne traitent pas le cœur de la pauvreté en France”.
Christiane Diemunsch propose quant à elle plusieurs solutions pour lutter contre l’appauvrissement des familles monoparentales, comme la “création d’une aide prioritaire pour les enfants” ainsi que “des structures d’accueil aux horaires élargis”. En attendant, elle poursuit chaque semaine son atelier “Se motiver pour réussir” afin d’”éviter l’isolement et la marginalisation” de ces femmes seules en difficulté.