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Les Kurdes ont voté dimanche pour élire les représentants de leur Parlement régional. Un an après le référendum sur son indépendance le Kurdistan en paye toujours les conséquences et vit une grave crise économique. France 24 dresse un état des lieux.

Les bureaux de vote ont ouvert, dimanche 30 septembre, au Kurdistan irakien pour des élections législatives dont le résultat pourrait modifier le fragile équilibre du pouvoir dans la région semi-autonome.

Près de 3,1 millions d'électeurs étaient attendus dans les trois provinces qui composent le Kurdistan, autonome depuis 1991 et forcé désormais de renégocier avec le pouvoir central à Bagdad, qui a coupé court il y a un an à ses velléités d'indépendance.

Face à des partis d'opposition affaiblis, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui se partagent le pouvoir depuis près de 30 ans, devraient prolonger leur règne.

Mais des divisions au sein de l'UPK, qui se déchire depuis la mort de son chef de file Jalal Talabani l'an dernier, pourraient bien renforcer le PDK de Massoud Barzani que ce soit à Erbil, la capitale régionale, ou à Bagdad dans la difficile formation d'un gouvernement fédéral.

 • Le tournant du référendum

Organisé sous l'impulsion de Massoud Barzani, alors président du Kurdistan, le référendum de septembre 2017 (non reconnu par les États-Unis) a débouché sur une écrasante victoire du "oui" à l'indépendance. Mais la réaction sévère de Bagdad et des pays voisins, qui jugeaient la consultation illégitime, a fait perdre au Kurdistan des portions de son territoire et son autonomie économique, en particulier les revenus vitaux du pétrole.

"Depuis avril, suite à l'intervention directe de Washington, les rapports entre Bagdad et Erbil se sont apaisés, sans se normaliser", affirme à l'AFP Adel Bakawan, directeur général du Kurdistan Centre for Sociology (KCS) de l'université Soran, près d'Erbil. "Bagdad verse désormais au Kurdistan sa part du budget fédéral : un milliard de dollars par mois."

Sur le plan politique, Massoud Barzani s’est dit contraint à renoncer à la présidence de la région. Depuis, le gouvernement régional est dirigé par son neveu Netchirvan Barzani et le vice-Premier ministre Qoubad Talabani, fils de Jalal Talabani.

 • Une situation économique catastrophique

Le Kurdistan d'Irak a longtemps été un paradis pour les investisseurs dans un Moyen-Orient en crise. Mais la percée du groupe jihadiste de l’organisation État islamique (EI) – arrivé en 2014 aux portes d'Erbil, la capitale de la région autonome –, la baisse des cours du pétrole, la corruption et la décision de Bagdad de ne plus contribuer au budget de la région – la privant de 80 % de ses recettes – ont donné un brusque coup d'arrêt à l'économie du Kurdistan.

Ainsi, Erbil, qui a perdu la mainmise sur l'exportation de 550 000 barils par jour, n'obtient plus désormais qu'environ 12 % du budget fédéral, soit un milliard de dollars par mois. Une somme insuffisante pour combler le déficit dans une économie basée sur la rente pétrolière et grevée par un fonctionnariat pléthorique, du fait du clientélisme des grands partis qui se partagent le pouvoir au Kurdistan depuis la chute du dictateur Saddam Hussein, en 2003.

Bagdad a également imposé pendant près de six mois un blocus des deux aéroports de la région et la fermeture des terminaux frontaliers avec l’Iran et la Turquie. Selon un récent rapport de l'ONU, 87 % des foyers de la région autonome vivent avec moins de 850 dollars par mois.

 • Des citoyens résignés

"Que font-ils pour le peuple ? Les précédents élus au pouvoir n’ont rien fait et les prochains ne feront rien non plus. Est-ce que je devrais voter pour eux ? Pour qu’ils s’enrichissent et qu’ils s’en sortent mieux ? Non, je n’irai pas voter", affirme à France 24 Diyar Bakr, un commerçant d’Erbil dont le chiffre d’affaires de sa boutique est en chute libre.

Les citoyens sont d’autant plus résignés qu’ils gardent en mémoire la répression des manifestations d’Erbil en mars dernier. Un mouvement de contestation réclamant des réformes pour améliorer la situation économique a en effet été durement réprimé par les autorités.

"J'ai été frappé le troisième jour des manifestations par deux personnes habillées en civil. Ils m'ont attrapé par le bras et m'ont projeté par terre. Ils m'ont dit que je faisais de l'incitation à la violence", témoigne un manifestant ayant souhaité garder l’anonymat, au micro de France 24.

De plus, "les groupes sociaux marginalisés par le système politique, hautement défavorisés par le système économique et abandonnés par le système éducatif sont en situation de défiance vis-à-vis des élites politiques", décrypte Adel Bakawan. "Cette base sociale non intégrée ne voit aucun espoir d'amélioration de ses conditions de vie en votant pour un parti."

La participation devrait donc être très limitée : les deux principaux partis tablent au mieux sur 40 % des 3,85 millions d'électeurs inscrits, encore moins que les 44,5 % de participation enregistrés au Kurdistan lors des élections législatives fédérales de mai dernier.

 • L'enjeu de la présidence irakienne

L'Assemblée actuelle est dominée, comme le gouvernement du Kurdistan d'Irak, par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani (38 sièges), suivi de son rival historique l'Union patriotique du Kurdistan (UPK, 18 sièges), du défunt président irakien Jalal Talabani.

Le rapport de force qui se dessinera à l'issue du vote de dimanche sera examiné de près par les hommes politiques et les observateurs en Irak, car le scrutin intervient la veille de l'élection par les députés de Bagdad d'un président de la République.

Réservé à un kurde, ce poste a jusqu'ici toujours échu à un candidat de l’UPK du défunt président irakien Jalal Talabani. Mais cette année, pour la première fois, le parti de Massoud Barzani – le PDK – présente un candidat, Fouad Hussein, l'ancien directeur de cabinet de Massoud Barzani, face au candidat de l'UPK, l'ancien vice-Premier ministre à Bagdad et Premier ministre du Kurdistan Barham Saleh.