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La reconnaissance, jeudi, par Emmanuel Macron de la responsabilité de l'État français dans la mort "sous la torture" de Maurice Audin fait notamment écho à la déclaration de Jacques Chirac en 1995 sur la déportation des juifs.
C’est un geste "historique". En reconnaissant, jeudi 13 septembre, "au nom de la République française", que le mathématicien communiste et anticolonialiste Maurice Audin avait été "torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile" le 11 juin 1957 pendant la bataille d'Alger, Emmanuel Macron est le premier président français à reconnaitre le recours à la torture par la France lors de la guerre en Algérie.
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Jusqu'en 1999, la France refuse de parler de "guerre" en Algérie
Le chemin "pour faire reconnaître la vérité", selon les mots du chef de l’État, a été long : il a fallu attendre 1999 et une proposition de loi socialiste pour que l’Assemblée nationale reconnaisse officiellement que la France avait bien mené une "guerre" en Algérie de 1954 à 1962. Jusqu’à cette date, dans les documents officiels, "les événements" étaient qualifiés de simples "opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord".
Au plus haut sommet de l’État, tout ce qui touchait à l’Algérie, qu’il s’agisse de la colonisation ou de la guerre, a été tabou pendant encore plus longtemps. Valéry Giscard d'Estaing, premier président français à effectuer, en 1975, une visite officielle dans l'Algérie indépendante, se gardera de condamner la colonisation. Son successeur, François Mitterrand, qui était ministre de l’Intérieur et de la Justice en 1954 lors de l’embrasement de l’Algérie, n’en fera rien non plus. Lui qui avait refusé la grâce de plusieurs militants FLN pendant la guerre, confiera en privé à Robert Badinter : "J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là." Jacques Chirac a, de son côté, raconté dans ses mémoires la fin de non-recevoir qu’il avait opposé à la demande d’Alger de faire reconnaître la responsabilité de la France. "Je ne l’ai naturellement pas acceptée", écrivait-il.
"Le système colonial a été profondément injuste", reconnaît Sarkozy en 2007
En 2007, en visite à Alger, Nicolas Sarkozy déclare que "le système colonial a été profondément injuste" mais souligne "qu'à l'intérieur de ce système, il y avait beaucoup d'hommes et de femmes qui ont aimé l'Algérie, avant de devoir la quitter". Il évoque aussi les "crimes terribles" commis pendant cette guerre "qui a fait d'innombrables victimes des deux côtés". Cette année-là, la veuve de Maurice Audin interpelle Nicolas Sarkozy sur le sort de son mari, sans obtenir de réponse du chef de l’État.
En 2012, François Hollande, également à Alger, reconnaît "les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien", ajoutant que "pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal". Il se recueille, dans la capitale algérienne, devant une plaque en l'honneur de Maurice Audin. En juin 2014, il infirme la thèse de l’évasion avancée à l’époque pour expliquer la mort du mathématicien. "Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention", affirme-t-il dans un communiqué. Le 19 mars 2016, il est le premier président de la République à commémorer la fin de la guerre d'Algérie, une initiative qui provoque une levée de boucliers.
En février 2017, le candidat Emmanuel Macron avait estimé que la colonisation de l’Algérie avait été "un crime contre l’Humanité". En reconnaissant jeudi la responsabilité de l'État français dans la mort "sous la torture" de Maurice Audin, Emmanuel Macron opère un tournant mémoriel dont l’ampleur rappelle celui de Jacques Chirac concernant la Shoah il y a plus de vingt ans.
Avant le "pardon" pour Audin, le tournant mémoriel de Chirac sur la Shoah
En 1995, en effet, le président français avait rompu avec des décennies de doctrine gaulliste en reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, notamment lors de rafle du Vél d’Hiv en juillet 1942. Jusqu’alors, tous les présidents français estimaient que les exactions commises étaient le fait du régime de Vichy, le pouvoir légitime étant celui de la France libre incarné par le général de Gaulle à Londres. "Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français", reconnaissait ainsi Jacques Chirac lors des commémorations de la Rafle du Vél’ d’Hiv’. "La France, patrie des Lumières et des Droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux", avait-il aussi déclaré dans un discours qui a fait date.
En octobre 2016, François Hollande poursuivra ce geste lors d’une cérémonie du souvenir à Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire, sur les lieux d'un camp d'internement de Tsiganes datant de la Seconde Guerre mondiale. "La France reconnaît sa responsabilité dans le drame de Montreuil-Bellay" sans "oublier que dans d'autres régions, les gens du voyage ont été déportés à Auschwitz parce qu'ils étaient des Tziganes", avait dit François Hollande, devenant ainsi le premier président français à évoquer la responsabilité de la France dans la persécution des gens du voyage. "Le jour est venu et il fallait que cette vérité soit dite", avait alors dit François Hollande. Dans son célèbre discours en 1995, Jacques Chirac avait également posé "l’exigence de vérité" comme "un devoir". Jeudi, c’est ce même mot qui est revenu dans la bouche d’Emmanuel Macron s’adressant à Josette Audin : "Vous n'avez jamais cédé pour faire reconnaître la vérité. La seule chose que je fais, c'est la reconnaître".