Les forces de l'ordre de Bassora, dans le sud de l'Irak, peinent à contenir la colère de la population contre la corruption des dirigeants et le manque d'eau potable. Retour sur les origines de ce soulèvement social.
De nouveaux heurts meurtriers ont opposé, mercredi 5 septembre, forces de l'ordre et manifestants à Bassora, ville pétrolière du sud irakien, théâtre la veille de la mort de six manifestants. Mercredi soir, Mehdi al-Tamimi, chef du Conseil gouvernemental des droits de l'Homme dans la province, a annoncé qu'"un manifestant avait été tué et 25 autres blessés, dont certains grièvement".
Ni l'appel au "calme" de l'ONU dans la matinée ni l'annonce par les autorités centrales à Bagdad de mesures pour mettre fin à la crise sanitaire qui frappe cette région pétrolière n'ont apaisé la colère sociale, déclenchée il y a deux mois.
La province de Bassora est en proie depuis mi-août à une pollution de l'eau qui a conduit plus de 20 000 personnes à l'hôpital. Cette crise sanitaire a relancé dans la ville une colère sociale née le 8 juillet pour réclamer des services publics et des infrastructures plus performants, colère qui avait gagné l'ensemble du sud du pays.
Soulèvement social
La contestation qui vient de faire six nouveaux morts à Bassora illustre tragiquement le sentiment d'abandon de cette ville de l'extrême sud de l'Irak et l'exaspération des habitants devant l'impunité des corrompus, dont l'avidité les prive des services de base.
Les rivalités à Bagdad, qui ont paralysé le Parlement dès l'ouverture de sa session inaugurale, les promesses des autorités et même les appels au dialogue : le cheikh Raëd al-Freiji, du Conseil des tribus de Bassora, les balaye tous d'un revers de main. Pour lui, les dirigeants "ont perdu le contrôle de la rue parce qu'ils ont perdu sa confiance", a-t-il résumé, lors d'un récent entretien à l'AFP. Aux législatives de mai, c'est ici que l'abstention a été l'une des plus fortes.
Quand Bassora a explosé début juillet, lançant un mouvement de contestation qui a gagné l'ensemble du sud, le gouvernement a promis plans d'urgence, investissements et milliards de dollars. Le Premier ministre Haider al-Abadi, qui tente aujourd'hui de conserver son poste en essayant de former une majorité avec le leader chiite Moqtada Sadr, avait même fait le déplacement.
"Province invivable"
Mais sur le terrain, rien n'a changé, ont assuré les habitants. Pire, l'eau distribuée est maintenant tellement polluée qu'elle a déjà conduit plus de 20 000 personnes à l'hôpital. "La province de Bassora est devenue invivable et les habitants estiment que la réponse des autorités n'est pas à la hauteur de la crise", déclare à l'AFP Fayçal Abdallah, du Conseil gouvernemental des droits de l'Homme.
Son organisation, comme d'autres, réclame que Bassora soit déclarée province "sinistrée". Mais, avec un tiers du pays repris récemment au groupe État islamique (EI), Bagdad dit peiner à trouver des fonds. Pourtant, le montant des revenus pétroliers bat chaque mois des records et a presque doublé en un an.
Mais ce qui exaspère le plus les habitants, c'est que les autorités fédérales et provinciales - dont le siège a été en partie incendié par les manifestants - se renvoient la balle. "Ça m'est égal de savoir qui doit le faire, ce que je veux, ce sont simplement les services de base", a fait valoir à l'AFP Mehdi, un habitant de Bassora d'une soixantaine d'années.
Pour le cheikh Freiji, "dire qu'il y a une crise économique est une blague, les caisses sont la proie des voleurs". "Je défie quiconque de me montrer un projet fini et au service du peuple. Où sont partis les millions investis ?" Dans le 12e pays le plus corrompu au monde, "la rue bouillonne, mais quand tu manifestes, tu es reçu par la violence et à qui se plaindre ? L'État est juge et partie", a-t-il accusé. Bientôt, a prévenu l'homme en tenue traditionnelle, "les manifestations ne seront plus pacifiques et plus aucun chef tribal ne pourra les arrêter".
Zone de trafic
Cette province frontalière de l'Iran et du Koweït est une zone de trafic mais aussi d'affrontements tribaux réguliers, parfois à l'arme lourde, constituant de longue date une poudrière.
La crise trouve ses racines dans "une mauvaise gestion politique", affirme à l'AFP le politologue Ouathiq al-Hachémi. Mais, à Bagdad, les politiciens sont plus préoccupés par leur siège et font preuve "d'un égoïsme et d'un manque d'attachement à l'intérêt national et aux responsabilités qui leur sont confiées", poursuit-il. L'expert pointe aussi du doigt l'existence de "loyautés à l'étranger", dans un pays où de nombreuses puissances, en premier lieu l'Iran et les États-Unis, interviennent régulièrement.
"Vache à pétrole"
En 2014, la province majoritairement chiite avait largement contribué à grossir les rangs des unités paramilitaires du Hachd al-Chaabi pour libérer les provinces sunnites de la férule de l'EI. Aujourd'hui, si elle s'en enorgueillit, la "vache à lait" de l'Irak - comme disent les habitants en évoquant le pétrole -, réclame son dû.
Le secteur des hydrocarbures, unique source de devises du pays, assure 89 % de ses ressources budgétaires mais seulement 1 % des emplois, ses entreprises recourant généralement à la main-d'œuvre étrangère.
Et surtout, il n'a pas permis de mettre au niveau les services d'acheminement d'eau et d'électricité, vétustes et qui ne font plus le poids face à l'exode rural, aux quartiers informels qui grossissent, et à la crise de l'agriculture victime de la sécheresse et de la pollution de l'eau.
Avec AFP