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Irlande : l’archevêque Martin, l’anticonformiste au sein de l’Église catholique

Le Primat d’Irlande accueillera le pape François, samedi, à Dublin, alors que l’Église catholique est secouée par des scandales d’abus sexuels. Un dossier sensible sur lequel l’archevêque de Dublin travaille depuis 2009.

Réputé pour son style direct, l'archevêque de Dublin Diarmuid Martin a prévenu : le pape "devra parler franchement de notre passé", en référence aux scandales d’abus sexuels qui secouent l’Église catholique ces dernières décennies. Le souverain pontife se rendra en Irlande pour clore la Rencontre mondiale des Familles les 25 et 26 août. Ce n’est pas "comme une part de notre histoire passée, mais de notre présent, car les blessures sont toujours là", a ajouté le primat d'Irlande de 73 ans, soucieux d'avancer sur ce sujet qui a laissé de nombreuses blessures au sein de l’Église dublinoise.

“The Pope has to speak frankly about our past but also about our future. We need a Church with confidence: not the confidence of popularity or arrogance but the confidence that comes from men and women captivated by the message of Jesus.” AB Martin https://t.co/xOU2jJ3Jyz

  Archdiocese Dublin (@DublinDiocese) 19 août 2018

En coulisses aussi, l'archevêque de Dublin œuvre auprès du souverain pontife pour que ce déplacement – le premier en Irlande depuis la visite de Jean-Paul II en 1979 – marque la fin de l’omerta qui a "provoqué un ressentiment profond parmi les croyants". Depuis plus de deux décennies, l’Église irlandaise est particulièrement ébranlée par des scandales de pédophilie qui ont entraîné une importante désaffection de ses fidèles.

"La vérité devait éclater"

Face à cette crise d’autorité sans précédent que traverse l’institution, Mgr Diarmuid Martin a affirmé, cette semaine, aspirer à "une Église plus authentique, dans une culture en proie à de profonds bouleversements". Dès sa nomination en 2004, l’archevêque de Dublin saisit la gravité des affaires d’abus sexuels au sein de l’Église irlandaise et coopère avec la commission Murphy, chargée d'enquêter sur la maltraitance des enfants dans la capitale irlandaise en remettant 80 000 documents issus des archives diocésaines.

Dans ses sermons, il n’hésite pas à critiquer ouvertement la manière dont la hiérarchie a étouffé certaines affaires en éloignant des prêtres de leurs diocèses. "La vérité, si dure soit elle, devait éclater", affirme-t-il sans détour dans un entretien publié cette semaine dans le journal La Croix. Ces prises de position lui valent toujours aujourd’hui de vives rancœurs auprès des évêques et des prêtres.

Progressiste

En revanche, cela fait probablement de lui "le chef de l'Église le plus respecté en Irlande parmi le grand public", commentait le journaliste Patsy McGarry, spécialiste des questions religieuses pour le quotidien Irish Times en 2016, qui le définit comme "un anticonformiste parmi les évêques irlandais". Le primat d’Irlande est considéré comme l'un des plus progressistes de l'église catholique irlandaise à la lumière de ses prises de positions sur des sujets de société ces dernières années. Cet été, alors que 66 % d’Irlandais se sont prononcés en faveur de l’avortement, faisant fi des déclarations de l’épiscopat, l’archevêque de Dublin a sanctionné un prêtre de son archidiocèse qui avait invité ses paroissiens ayant voté oui au référendum à aller se confesser sans tarder.

Trois ans plus tôt, quand les Irlandais ont légalisé le mariage homosexuel par référendum, il avait déclaré à la suite de "cette révolution sociale" que "l’Église a besoin de se reconnecter avec la jeunesse pour regagner l’autorité morale et culturelle en Irlande".

Proche des victimes des abus sexuels

Réformiste, Diarmuid Martin n’en est pas moins intransigeant, et en particulier à l’égard des abus sexuels, note l’historien Odon Vallet. "Nul doute que cette personnalité sévère, moins soucieuse du prestige de l’Église que d’être au service des fidèles en les respectant, a été nommée à Dublin pour avancer sur ce dossier", ajoute-t-il. Au sein de l’Église catholique, il fait partie des proches des victimes des sévices sexuels, selon Patsy McGarry. "Depuis sa nomination à Dublin, il les a soutenus de manière constante. C'est toujours le cas et il a joué un rôle central pour faire de l'Église catholique en Irlande l'un des endroits les plus sûrs pour les enfants d'aujourd'hui", écrivait-il également.

Sous son impulsion, l’Église dublinoise a instauré de nouvelles structures d’aide pour les victimes, en sensibilisant sur cette douloureuse question. "Il y a eu beaucoup de progrès en Irlande sur ce sujet ces dernières années", confirme Odon Vallet.

Influence limitée

Respecté sur la gestion de cet épineux dossier, il semble bénéficier de l’écoute du pape François. En mai dernier, le Primat d’Irlande affirme aux médias avoir plaidé auprès du souverain pontife pour qu’il rencontre des victimes lors de sa visite – ce dernier l’a déjà fait par le passé dans d’autres pays. La confirmation est venue de Rome cette semaine : "Le Saint-Père rencontrera des victimes", a confirmé le 21 août Greg Burke, porte-parole du Vatican.

Faut-il y voir une quelconque influence de sa part ? Toujours est-il que cinq jours avant sa venue en Irlande, et une semaine après le scandale de pédophilie aux États-Unis, le pape François a révélé cette semaine une lettre au "peuple de Dieu" pour condamner "ces atrocités". Un fait rare pour un souverain pontife.

Pour autant, l'archevêque d'Irlande est conscient que sur ce dossier, “le pape François ne fera pas de miracles”. En deux jours, le souverain pontife ne pourra pas définir de grandes lignes pour l’Église irlandaise, mais fournira “les outils nécessaires” pour y parvenir.

Si influence de Mgr Martin il y a, elle reste toutefois bien restreinte. Depuis Dublin, Diarmuid Martin ne semble pas faire le poids face au premier cercle présent au Vatican. Dans l’Irish Times, il estimait cette semaine que le pape François a besoin d’être mieux entouré, en commençant par la commission pour la protection des mineurs au Vatican qualifiée de "trop petite et pas assez forte". La commission "ne fouille pas là où elle devrait", a-t-il souligné. Le pouvoir de l'archevêque Martin est aussi, et surtout, limité dans le temps : il prendra sa retraite en 2020.