
Face à la recrudescence d'assassinats de représentants du pouvoir russe et d’humanitaires dans le Nord-Caucase, Moscou peine à réagir. Au risque de se laisser déborder par "l'afghanisation" de la région.
C’est un petit bout de terre mais une grosse épine dans le pied de Moscou. L’Ingouchie, le Daguestan et la Tchétchénie s’étendent sur 65 600 km2 (soit un dixième de la superficie de la France) et sont le théâtre de violences quasi quotidiennes. Le lundi 18 août, un attentat-suicide a causé la mort de 20 personnes en Ingouchie. En juin et en juillet, dans cette république russe et au Daguestan voisin au moins 55 représentants des forces de l’ordre et du pouvoir russe ont été tués, soit presque autant que sur toute l’année 2008, d’après le Centre américain pour la paix au Caucase. Alors que ces territoires s’enfoncent dans l’instabilité, le pouvoir central semble complètement débordé.
Stabilité de façade
"Il apparaît maintenant clairement que la politique suivie par Moscou équivaut à s’enfoncer un couteau toujours plus profondément dans ses propres plaies", affirme à FRANCE 24 Svante Cornell, directeur de recherche au sein de l’Institut pour la sécurité et le développement et de l’Institut pour l’Asie centrale et le Caucase. L’"accord tacite" entre Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie, et le dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, lors de son accession au pouvoir en février 2007 s’est révélé contre-productif. "On lui laissé carte blanche pour lancer un politique de répression tout azimut en faisant peu de cas des droits de l’Homme et de l’État de droit en général", rappelle à FRANCE 24 Tanya Lokshina, représentante pour le Nord-Caucase de Human Rights Watch. Résultat : une stabilité de façade et une multiplication d'enlèvements et de tortures contre des "suspects", et même des proches de "suspects". De quoi nourrir un fort sentiment de vengeance au sein de la population.
Dans les républiques voisines d’Ingouchie et du Daguestan, Moscou va reproduire le schéma de système de pouvoir vertical en nommant des hommes liges. Le résultat n’est pas glorieux. "Le Daguestan est la république la plus corrompue de la Fédération de Russie et les services de l'État n’existent tout simplement plus en Ingouchie", se désole Tanya Lokshina. Un terreau particulièrement fertile pour les groupes d’insurgés, essentiellement des salafistes djihadistes, et la criminalité organisée. Surtout que pour combattre les Jamaat (groupes), les autorités ont instauré une sorte de "délit de sale religion", s’en prenant à tout musulman, qu’il soit modéré ou djihadiste. Des conflits locaux qui traînent parfois depuis plusieurs centaines d’années viennent encore alourdir le climat. Le Daguestan, par exemple, connaît l’une des plus fortes concentrations d’ethnies différentes, plus de 40, qui se livrent une guerre larvée. "Tous les éléments étaient réunis pour 'l’afghanisation' du Nord-Caucase", conclut Svante Cornell.
Prix du pétrole
Il ne manquait plus que la petite étincelle pour faire exploser la poudrière. Pour Svante Cornell, "la crise économique est passée par là. La stabilité dans la région dépend du prix du pétrole, plus il est élevé, plus Moscou a d’argent à dépenser pour maintenir un certain calme, et, pour l’instant, les comptes de la Russie ne sont pas au beau fixe."
"Il y a un an, on a assisté à un afflux de nouvelles recrues chez les Jamaat en Tchétchénie, dont beaucoup étaient des jeunes âgés entre 17 et 19 ans, qui n’en pouvaient plus de Kadyrov et n’avaient pas de perspectives", constate Tanya Lokshina. En parallèle, les violences ont gagné en intensité au Daguestan et en Ingouchie. Moscou ne bénéficiait plus de moyens qui lui auraient permis de s’acheter une paix factice.
De l’avis général, Moscou se doit cependant de réagir au plus vite. "Le but de Poutine est d’affirmer que la Russie est une grande puissance mais avec trois républiques en rébellion, ça ne fait pas très sérieux", affirme Svante Cornell. Mais le pouvoir central semble hésitant. En Ingouchie, trois mois après l’attentat perpétré contre le président Iounous-Bek Evkounos, Moscou n’a toujours pas choisi de nouveau dirigeant.