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Google : un moteur de recherche conçu sur mesure pour la censure chinoise ?

Absent en Chine depuis 2010, Google planche, selon des fuites internes, sur un moteur de recherche compatible avec la censure. L’ONG Amnesty international a appelé le géant californien à ne pas "placer les profits devant les droits de l'Homme".

Nom du projet : "Dragonfly" (libellule, en français). Objectif : élaborer une version du moteur de recherche Google adaptée aux exigences de censure de Pékin. Le site Web lanceur d’alerte The Intercept a révélé mercredi 1er août, sur la base de documents internes estampillés "Google confidentiel", l'existence de ce programme secret chez le géant californien. Un employé de Google a, par ailleurs, confirmé à l’AFP, sous couvert d'anonymat, que ce moteur de recherche "sur mesure", actuellement en phase test, était destiné au système d'exploitation Android pour smartphones en Chine.

Exclusive: Google plans to launch censored search engine in China, leaked documents reveal https://t.co/wNzDR74QQl by @rj_gallagher pic.twitter.com/mH7VRbJm0z

  The Intercept (@theintercept) 1 août 2018

La version du moteur de recherche destinée à la Chine a été spécialement modifiée pour filtrer les sites et les mots-clés interdits par le gouvernement chinois, a précisé à l'AFP la source interne, l'Internet y étant bâillonné par un système complexe de censure. Une "Grande muraille électronique" bloque les réseaux sociaux Facebook, Twitter et YouTube, Google et Gmail, ainsi que de nombreux médias occidentaux.

Selon The Intercept, des sites comme ceux de la BBC ou de Wikipedia n’apparaissent pas dans les recherches de la version Google testée pour la Chine de même que tous les sites Internet bannis par le régime communiste. Selon le site, des termes concernant les droits de l'Homme, la démocratie, la religion et les manifestations intègreront une liste noire. Le code du projet peut être consulté et testé sur le réseau informatique interne de Google, selon l’employé joint par l’AFP.

"Ce serait un jour noir pour la liberté du Web", alerte Amnesty

Un moteur de recherche adapté à la censure chinoise permettrait à Google de revenir en Chine, huit ans après sa disparition dans le pays. Face à la censure et aux cyberattaques, Google avait, en effet, retiré son moteur de recherche de Chine en 2010 et nombre de ses services restent depuis bloqués dans la deuxième économie mondiale.

La nouvelle a provoqué malaise et consternation chez nombre de salariés de Google : "Cela a suscité pas mal d'angoisse en interne. Certains sont furieux de ce qu'on est en train de faire", glisse cette même source.

Taj Meadows, porte-parole de Google en Asie, s'est refusé à réfuter ou confirmer l'existence du projet. "Nous proposons déjà nombre d'applications mobiles en Chine, comme Google Translate (traduction) ou FilesGo (transfert de documents) et avons réalisé des investissements significatifs avec des firmes chinoises comme JD.com", colosse de l'e-commerce, a indiqué Taj Meadows à l'AFP après les révélations de la presse américaine. "Mais nous ne commenterons pas des spéculations sur nos projets futurs", a-t-il insisté.

Inquiète, l’ONG Amnesty International a appelé Google à ne pas accepter de tels compromis. "Ce serait un jour noir pour la liberté du Web si Google se soumettait aux règles extrêmes de la censure chinoise pour accéder à un marché" et "plaçait les profits devant les droits de l'Homme", a prévenu Patrick Poon, chercheur de l'ONG.

Quel est le degré d’avancement du projet ? Selon le New York Times, Google a fait une démonstration devant des responsables gouvernementaux chinois mais cela ne signifie aucunement un retour imminent du moteur de recherche dans le pays. "Le projet du moteur de recherche censuré n'est pas achevé", abonde le Wall Street Journal. Les informations suggérant ce retour de Google sur le marché chinois "ne sont pas conformes à la réalité", insistait de son côté, jeudi, le quotidien officiel chinois Zhengquan Ribao, citant "les autorités concernées".

Google withdrew from China 8 years ago to protest the country's censorship and online hacking. Now the company is building a new search engine that complies with Chinese censorship rules. https://t.co/hcCUjhTdu9

  The New York Times (@nytimes) 1 août 2018

Sept cents employés de Google en Chine

Les plateformes chinoises comme Weibo ou WeChat font l'objet d'une censure étroite, sommées d'auto-réguler leurs contenus jugés sensibles : voix critiques du régime, contenus religieux, scandales sanitaires, musique rap, dessins animés trop crus ou ragots sur des célébrités... Dans ce contexte, les groupes technologiques étrangers sont confrontés à un dilemme : faire des concessions au pouvoir ou renoncer à ce marché gigantesque.

Microsoft est ainsi présent en Chine avec son moteur de recherche Bing. Et si Google avait retiré en 2010 son moteur de recherche de l'Internet chinois, il n'a toutefois jamais réellement quitté la Chine. Le groupe californien, filiale d'Alphabet, a continué d'engranger des revenus publicitaires dans le pays, où il compte actuellement trois bureaux et plus de 700 employés.

Signe d’un réchauffement entre Pékin et le géant californien : le gouvernement a autorisé en 2017 l'accès de l'application Google Translate pour mobile, jusqu'alors bloquée. Google a en outre annoncé cet hiver l'ouverture d'un centre de recherche sur l'intelligence artificielle à Pékin, ainsi qu'un accord de coopération avec le mastodonte chinois de l'Internet Tencent.

Mais le malaise des employés pourrait compliquer la mise en place d'un moteur de recherche censuré. Récemment, une pétition demandant à Google de ne pas conclure un colossal contrat avec l'armée américaine avait réuni plus de 4 000 signatures de salariés – ils jugeaient cette collaboration contraire aux valeurs de l'entreprise, dont le slogan originel était : "Ne soyez pas malveillants".

Avec AFP