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Allemagne : un verdict pour tourner la page sanglante des néonazis du NSU

La justice allemande a condamné, mercredi, Beate Zschäpe, unique survivante du groupuscule néonazi NSU, à la prison à vie pour dix meurtres. Un procès qui a mis en lumière la difficulté pour l’Allemagne de reconnaître le terrorisme d'extrême droite.

Beate Zschäpe la néonazie, Beate Zschäpe la complice de meurtres, Beate Zschäpe la condamnée. À l’issue d’un procès fleuve de cinq ans qui a tenu en haleine toute l’Allemagne, cette femme de 43 ans a été condamnée, mercredi 11 juillet, à la prison à perpétuité pour complicité dans dix meurtres dont neuf à caractère raciste commis entre 2000 et 2007 alors qu’elle était membre du groupuscule néonazi Nationalsozialistischer Untergrund (NSU, Clandestinité nationale-socialiste).

Ses deux complices de l’époque sont morts, mais quatre autres personnes, accusées d’avoir apporté un soutien logistique au trio meurtrier, ont aussi écopé de peines de prison. Ce procès, le plus long de l’histoire judiciaire allemande, constituait également une façon pour l’Allemagne d’essayer de tourner l’une des pages les plus sombres de l’histoire récente du pays.

Milieux néonazis de l’ex-RDA

Le NSU est, en effet, derrière dix meurtres visant quasi exclusivement la communauté turque allemande, une quinzaine de braquages et plusieurs attentats à la bombe sur une période de quinze ans sur tout le territoire allemand. Et pendant tout ce temps, personne ne soupçonnait l’existence de ce groupuscule néonazi. Les enquêteurs ne se sont intéressés à la piste de l’extrême droite qu’en 2011, lorsque les corps d’Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, les deux compagnons de meurtre de Beate Zschäpe, sont retrouvés, ainsi que leur arsenal, dans un mobil-home.

Cette affaire a mis en évidence les défaillances des services allemands du renseignement accusés d’avoir trop longtemps sous-estimé la menace d’extrême droite. La chancelière Angela Merkel s’est excusée en personne, en 2012, auprès des familles des victimes du NSU pour les manquements des services de l’État tout au long de l’enquête.

Un embarras au plus haut niveau de l'État causé par trois individus aux idées néonazies bien arrêtées, et aux pulsions de meurtre assumées. Ils se connaissaient bien avant d’avoir entamé leur virée meurtrière sous la bannière du NSU. Tous les trois ont grandi à Iéna (Thuringe), une ville industrielle de l’ex-Allemagne de l’Est, et se sont rencontrés dans l’un des nombreux groupuscules d’extrême droite qui ont vu le jour à l’est, après la Réunification. Il y a Uwe Mundlos, l’”intello” du groupe qui était abonné aux bonnes notes à l’école, Uwe Böhnhardt, le bagarreur fasciné par les armes à feu, et Beate Zschäpe, la jeune délinquante qui avait déjà été condamnée plusieurs fois pour vol à l’étalage.

De 1995 à 1998, ils ont agi ensemble au sein de la “Thüringer Heimat” (La patrie de Thuringe), le plus important mouvement néonazi de la région. C’est à cette époque qu’ils ont développé une fascination pour les bombes… et échappé de justesse à la police. Après avoir déposé sur cette période six faux explosifs à Iéna, ils réussissent, en 1998, à fausser compagnie aux enquêteurs qui les soupçonnaient, et disparaissent dans la clandestinité totale.

Un fleuriste d'origine turc, première victime

C’est l’acte de naissance du NSU. La popularité du groupe a dès lors rapidement pris de l'ampleur dans la mouvance d’extrême droite, raconte l'Agence fédérale de formation civique (Bpb), qui dépend du ministère de l’Intérieur. Un hymne à leur gloire est même écrit sur la musique de “Knocking on heavens door” de Bob Dylan et des collectes de fonds sont organisées lors des concerts des millieux néonazis.

Fort de ce soutien moral et financier, les trois d'Iéna se sont imaginé les représentants d’une “nouvelle force politique allemande” devant lutter contre “les ennemis du peuple avec tous les moyens possibles”. Tel est, en tout cas, le sens de l’unique manifeste du NSU que les policiers ont retrouvé dans l’un des nombreux appartements occupés au fil des ans par Beate Zschäpe et les deux Uwe.

Car le trio bouge constamment. En treize ans, le NSU va frapper dans toute l’Allemagne de Zwickau (est du pays) à Cologne (ouest) et de Rostock (nord) à Munich (sud). Ils braquent pour se financer (ils ont volé plus de 630 000 euros en tout) et tuent par idéologie. Leur premier meurtre a lieu à Nuremberg (Bavière), le 9 septembre 2000. Le fleuriste d’origine turque Enver Simsek est abattu de neuf balles, dont cinq dans la tête, en pleine rue. Par la suite, ils vont assassiner sept autres Allemands d’origine turque, un d’origine grecque et une policière. Beate Zschäpe s'occupait de l'organisation, tandis que les deux hommes se chargaient de passer à l'acte.

Aveuglement des autorités

À l’époque, les autorités n’ont pas vu de motivations racistes derrière ces crimes. Un aveuglement parfaitement illustré par les attentats à la bombe de 2002 et 2004 à Cologne qui ont fait 22 blessés dans la plus ancienne rue commerçante turque d’Allemagne. Jusqu’en 2011, ces explosions sont mises sur le compte de règlements de compte entre des organisations criminelles turques, stigmatisant une communauté entière et coupant complètement la rue du reste de la ville.

Mais dans les années 2000, la ligne des autorités allemandes est claire : il n’existe pas de terrorisme d’extrême droite dans le pays. Le renseignement assurait, en 2004, que ce milieu n’était pas suffisamment structuré, manquait de ressources et du soutien logistique pour mener des opérations terroristes. En outre, les services allemands étaient convaincus que les néonazis étaient opposés aux attentats qui risquaient de renforcer l’autorité de l’État honni.

Une erreur d’analyse qui, de l’aveu du ministère de l’Intérieur en 2013, a eu de “graves conséquences” pour les victimes et l’enquête. À cette époque, la priorité des services de renseignement était la menace islamiste, et les musulmans étaient plutôt considérés comme des auteurs potentiels d’attaques que comme les victimes d’attentats d’extrême droite, rappelle l'hebdo Die Zeit dans une longue enquête sur les erreurs du renseignement allemand.

Parmi ces conséquences, des zones d'ombre subsistent malgré les cinq ans de procès et les centaines de témoignages à la barre, telles que les circonstances de la mort des deux complices de Beate Zschäpe et l'éventuelle implication, au delà de la négligence, des services de renseignement.