En avançant mardi des propositions sur la création d'un budget de la zone euro et la question migratoire, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont chacun fait un pas vers l'autre, selon Claire Demesmay, spécialiste des relations franco-allemandes.
Emmanuel Macron et Angela Merkel peuvent souffler : ils ont chacun obtenu ce qu’ils étaient venus chercher, mardi 19 juin, à Meseberg, près de Berlin, lors du sommet franco-allemand. Dans le bras de fer qui se joue avec son ministre de l’Intérieur sur la question migratoire, la chancelière allemande est sortie renforcée de ce rendez-vous, qui lui permet d’avancer des solutions européennes. Quant au président français, la déclaration adoptée lui évite de subir un camouflet sur la scène européenne. Son enthousiasme au moment d’évoquer une "avancée historique" au sujet de la création d’un budget de la zone euro laissait ainsi transparaître un soulagement bien réel.
Pour Claire Demesmay, directrice du programme franco-allemand de l'Institut allemand de politique étrangère (DGAP), contactée par France 24, cette rencontre a permis à Emmanuel Macron et Angela Merkel "d’afficher leur unité" sur la scène européenne. Et s’il est impossible, aujourd’hui, de savoir si les réformes proposées auront effectivement un caractère historique, elles ont au moins le mérite, selon la spécialiste des relations franco-allemandes, d’avoir une "forte valeur symbolique" pour la relance du projet européen.
L'Europe connait un moment de vérité. Sur les sujets économiques, commerciaux, financiers, de politique étrangère, un choix de civilisation est en discussion. Certains veulent détricoter l'Europe. Nous pensons que nous devons faire avancer l'Europe. pic.twitter.com/s85fJQIdkR
Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 19 juin 2018France 24 : L’accord sur un budget de la zone euro trouvé par Emmanuel Macron et Angela Merkel est-il une "avancée historique" comme l'avance le président français ?
Claire Demesmay : C’est difficile à dire car on ne connaît pas encore les détails du fonctionnement de ce futur budget de la zone euro. Or, ce sont précisément ces détails qui feront que cette réforme sera ambitieuse ou non. À défaut d'être historique, ces annonces ont une forte valeur symbolique. Le fait qu’Angela Merkel rejoigne Emmanuel Macron sur la question même de la création d’un budget de la zone euro est un signe important et une victoire pour le président français.
Maintenant, le travail ne fait que commencer car il va falloir, dans un premier temps, convaincre les autres États membres de la zone euro. Puis, il faudra définir à quoi servira ce budget et, surtout, son montant. Car entre la vision très ambitieuse d’Emmanuel Macron, qui parlait de plusieurs centaines de milliards d’euros, et celle beaucoup plus réservée d’Angela Merkel, qui a évoqué quelques dizaines de milliards d’euros, il y a un grand écart.
Peut-on aussi parler d’accord important concernant la question migratoire ?
Je le crois. Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proposé la création d’un Office européen de l’asile qui aura pour but d’harmoniser les pratiques des États membres en la matière. Or, in fine, à partir du moment où on a des standards communs sur le droit d’asile, cela implique forcément un système de répartition entre pays européens avec un système de quotas. C’est une proposition qui sera très difficile à faire accepter, notamment pour les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) qui refusent d’accueillir sur leur sol des migrants.
Il est par ailleurs question de renforcer l’agence Frontex qui gère le contrôle des frontières extérieures de l’UE et de renvoyer les migrants dans leur pays d’entrée, tout en aidant financièrement ces pays d’accueil, notamment l’Italie. Il s’agit désormais pour Angela Merkel de limiter l’afflux de migrants. Elle espère de cette manière mettre fin à la crise gouvernementale qu’elle connaît depuis que son ministre de l’Intérieur l’a menacée de fermer les frontières allemandes.
Plus que jamais, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont-ils besoin l’un de l’autre ?
Tout à fait. Macron et Merkel sont dans une situation de soutien réciproque. Il était très important pour eux d’afficher leur unité, mais pour des raisons différentes. La réforme de l’UE était essentielle dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Il était donc primordial pour lui d’obtenir un accord franco-allemand pour ne pas perdre la face. Quant à Angela Merkel, qui est dans une situation gouvernementale tendue, il était essentiel de montrer qu’elle a un allié européen de poids et qu’elle propose des solutions européennes quand la CSU opte pour des réflexes nationaux. Finalement, se retrouver tous les deux dans une position inconfortable a poussé Macron comme Merkel à faire un pas vers l’autre.