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Le refoulement de 629 migrants par l’Italie et Malte est contraire au droit européen. Mais les pays de l’UE sont trop préoccupés par la montée des populismes pour réagir, selon le spécialiste des questions européennes Patrick Martin-Genier.

Investi il y a à peine deux semaines dans la coalition populiste en Italie, Matteo Salvini a commencé à tenir ses promesses. Le dirigeant de la Ligue (extrême droite) et nouveau ministre de l’Intérieur a crié victoire, lundi 11 juin au soir, après avoir interdit l’accès aux ports italiens à l’Aquarius, le navire affrété par l’ONG de secours en mer SOS Méditerranée, transportant 629 migrants à son bord. "Sauver des vies est un devoir, transformer l'Italie en un énorme camp de réfugiés, non. L'Italie en a fini de courber l'échine et d'obéir ", a-t-il assuré sur Twitter. L’île de Malte, sollicitée par l’ONG dont le bateau est resté bloqué à la limite de ses eaux territoriales, a aussi refusé d’accueillir les rescapés.

Rome a adopté depuis quelques mois un discours très ferme en direction de ses partenaires européens, peu enclins à partager le fardeau de l'accueil : 700 000 migrants sont arrivés en Italie depuis 2013, dont 13 500 depuis le début de 2018. Les arrivées ont diminué de 75 % depuis que le précédent gouvernement a conclu fin août 2017 des accords controversés avec les autorités et les milices libyennes, accords que Salvini souhaite renforcer pour empêcher les migrants de quitter les côtes libyennes.

Matteo Salvini a aussi promis de renforcer les expulsions de clandestins qui continuent d’arriver en Italie et entend donner "un bon coup de ciseaux" dans le budget de 5 milliards d’euros alloués chaque année à l’accueil des demandeurs d’asile. Selon lui, les ONG de secours en mer sonts complices des réseaux de passeurs et celles qui patrouillent au large de la Libye seront traitées de la même manière que l’Aquarius.

À l’exception de l’Allemagne, qui a appelé au "devoir humanitaire" de Malte et de l’Italie, du maire de Naples, et des dirigeants de la collectivité territoriale corse qui ont proposé "d’ouvrir un port corse pour porter secours à ces personnes en détresse", la réponse européenne est inaudible. Seule l’Espagne, distante de 1 300 km, a répondu à l’appel de détresse du navire, et l’accueillera à Valence après trois jours de navigation. Professeur à Sciences-Po spécialiste des questions européennes et auteur de "l’Europe a-t-elle encore un avenir ?", Patrick Martin-Genier analyse la position italienne au vu du droit européen et les raisons du silence de l'Union européenne (UE).

France 24 : Le refoulement d’un navire en détresse par un pays européen est-il inédit ?

Patrick Martin-Genier : La situation qu’on vient de connaître en Italie est parfaitement inédite. L’Aquarius est un bateau avec un maximum de 500 places, il était surchargé et en détresse. C’est une première et c’est grave.

Jusqu’à présent, dans l’histoire de l’Europe depuis le traité de Lisbonne [en 2007], on n’avait jamais connu ça. On avait vu la politique de la Hongrie, qui a installé des barbelés à sa frontière, obligeant les migrants à être placés dans des camps, mais ils n’étaient pas renvoyés vers la mer. C’était déjà critique mais pas contraire au droit de l’UE, quoiqu’on puisse se poser des questions sur l'attitude de Budapest au regard du principe de non refoulement.

La Cour européenne des droits de l’Homme peut-elle être saisie pour infliger des sanctions à l’Italie ?

C’est un peu délicat, car il faudrait considérer qu’il y a un traitement inhumain et dégradant. C’est surtout la Commission européenne qui pourrait agir. Si elle en avait le courage politique, elle pourrait initier une procédure d’infraction contre l’Italie. Elle l’a fait contre la Hongrie, contre la Pologne. Là, il y a une violation manifeste du droit européen : le fait de refuser d’accueillir un bateau est contraire au principe de non refoulement et de la convention de Genève.

Mais ça ne se produira pas, selon moi, car politiquement les chefs d’État et de gouvernement ne souhaitent pas faire de remarques à l’Italie. On assiste à une montée en puissance des populismes en Europe au niveau électoral, et l’Europe est mise au pied du mur, elle n’a plus les moyens de sanctionner l’Italie. Mais le [refoulement de l’Aquarius] est inadmissible, donc si l’Italie continue cette pratique, ça pourrait avoir des conséquences.

Que peut-on déduire du silence de la France, à l’exception des dirigeants nationaliste corses ?

Tous les pays de l’UE sont gênés. Ils sentent bien qu’il y a une pression nationaliste et populiste sur le continent, donc la solidarité est minimum. Il y a d’autres ports en Méditerranée, on a cité la Corse, il y a aussi Marseille [qui aurait pu accueillir l'Aquarius]. Mais les autorités françaises ne souhaitent pas entrer dans la polémique et prêter le flanc à la critique en accueillant de nouveaux migrants.

L’Italie fustige le règlement européen de Dublin, qui contraint les migrants à déposer leur demande de régularisation dans le premier pays européen où ils sont entrés. Pour désengorger la péninsule, plusieurs dirigeants européens proposent de flexibiliser ce système. Y’a-t-il des avancées en ce sens ?

Il faut plus de solidarité dans la charge de l’accueil, mais à ce jour aucun accord n’a été trouvé. Emmanuel Macron a dit qu’il souhaitait réviser les accords de Dublin, or la dernière réunion des ministres de l‘Intérieur [du 5 juin, que l’Italie a boycottéE] s’est soldée par un échec [à cause notamment des réticences des pays de l’Est, Hongrie et Pologne en tête].

Le problème, c’est le traitement des demandes d’asile. Il y a chez les dirigeants européens une crainte que les partis populistes l‘emportent en 2019 lors des élections européennes si ils se montrent trop accueillants. Donc il ne devrait pas y avoir de révision avant cette date. La situation est complètement bloquée.