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Pourquoi les Français ont longtemps eu honte de demander un "doggy bag" au resto

D'ici juillet 2021, tous les restaurateurs auront l'obligation de proposer des contenants dans lesquels les clients pourront repartir avec leurs plats entamés. Une disposition légale inédite en France, où les restes ne sont pas perçus comme nobles.

"Ça fait un peu radin, non ?", me lance une amie quand je lui suggère de demander un doggy bag afin d'emporter la pizza à laquelle elle n'a qu'à moitié touché, en ce samedi midi à déjeuner en terrasse. "Mais tu préfères que ça parte à la poubelle ?", lui rétorque-je. Avant de finalement parvenir à la convaincre en lui faisant remarquer qu'elle n'a aucune excuse puisque le restaurant italien dispose déjà de boîtes en carton destinées aux achats à emporter.

Anti-gaspillage versus élégance : le dilemme appartiendra-t-il bientôt au passé ? Ce dimanche, les députés ont voté dimanche pour un nouvel amendement préconisant le déploiement progressif du doggy bag en France. Bérangère Abba, élu LREM à l'origine du texte, a salué "le fruit d'un travail de construction" entre députés lors de l'examen du projet de loi agriculture et alimentation. Au 1er juillet 2021, tous les restaurateurs devront se mettre en conformité et proposer des contenants afin de permettre à leurs clients de repartir avec leurs restes.

Les mœurs françaises et l'élégance de l'assiette

Le principe du doggy bag est une pratique courante dans les pays anglo-saxons, asiatiques et du Moyen-Orient. Est-ce parce que les portions de ces plats généralement conviviaux y sont plus généreuses qu'en France où l'unité de la gastronomie est souvent celle de la part individuelle facile à terminer ? Il est vrai que chez nous, l'attention portée au dressage ou encore le traditionnel "finis ton assiette" intimé aux enfants parachève une culture de la rigueur à table. 

C'est un peu comme si le restaurant était davantage vécu comme un service (celui d'un moment convivial) que comme un produit acheté (le plat).

Aux États-Unis, les membres d'une même famille peuvent ne pas dîner à la même heure : chacun rentre à la maison et se fait son plateau-repas en ouvrant le frigo. En France, à l'inverse, on accorde beaucoup d'importance aux repas construits autour d'une table – en tant que moment de convivialité et de sociabilité. Ceci aurait pour conséquence de faire du restaurant une sortie davantage vécue comme un service (celui d'un moment convivial) que comme un produit acheté (le plat).

Au cœur des réticences pour le doggy bag se trouve également la crainte d'être jugé. "Pour commencer, rappelons que le mot renvoie aux restes donnés au chien, donc à un imaginaire populaire voire à une certaine idée du manque, et donc de la pauvreté", note auprès de Mashable FR Julia Csergo, spécialiste des cultures alimentaires. C'est la raison pour laquelle certains préconisent de plutôt parler de "gourmet bag". "Surtout, en Amérique du Nord, le rapport à l'argent est différent : les gens ont en tête que s'ils ont payé pour quelque chose, cette chose leur appartient", développe la professeure qui a vécu 6 ans outre-Atlantique, à propos de ce qu'elle appelle "un esprit utilitariste".

Reste que le doggy bag n'est pas une idée purement anglo-saxonne. Dès le IVe siècle avant JC, l'élite romaine avait pour habitude d'enrouler ses restes afin de les emporter à la maison. Ne pas procéder ainsi était au contraire un affront fait à l'hôte revenant à lui signifier que ses mets servis n'étaient pas assez bons.

On fait bien déjà ça avec le vin

Le nouvel amendement favorisant le doggy bag en France pourra-t-il faire évoluer les mentalités ? Dans de nombreuses bars à vin, cela ne choque personne de laisser le client repartir avec une bouteille déjà entamée. Alors, demander à repartir avec les restes de son assiette serait-il vraiment plus embarrassant ?

La solution anti-gaspillage alimentaire consisterait peut-être à imiter certains restaurants britanniques dans lesquels ce sont les serveurs qui proposent directement à la clientèle de repartir avec le plat entamé. D'un coup, ceux qui auraient un peu honte de demander eux-mêmes s'habitueraient peut-être progressivement à la pratique... En 2014 déjà, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) avait suggéré à ses adhérents de démocratiser le doggy bag dans les établissements.

Mais aujourd'hui encore, la restauration (collective et commerciale) enregistre 21 kilos de nourriture jetée par personne et par an. Du champ à l'assiette, le gaspillage alimentaire correspond à 16 milliards d'euros annuels perdus, selon Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire LaREM et ancien responsable de l'Ademe (l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). Avec le nouveau cadre légal, l'objectif serait de diviser par deux le gaspillage d'ici à 2025. Et si tout le monde se met au doggy bag, il n'y aura bientôt plus aucune de raison d'en rougir. Et l'embarras lié à la peur de passer pour une pince d'être remplacé par la fierté d'être écoresponsable.

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