Forte d'un long parcours politique au sein d'Ennahda, doublé d'une activité de pharmacien, Souad Abderrahim est pressentie pour devenir la première maire de Tunis. Son parti a remporté le plus grand nombre de sièges aux municipales.
Pharmacienne, ancienne députée, militante de longue date d’Ennahda ¨– même si elle se définit comme "indépendante" –, Souad Abderrahim a de grandes chances d’être nommée à la tête de la capitale tunisienne et de devenir "Cheikha de la Medina". Cette élection serait inédite à plusieurs titres : elle serait alors la première maire de la capitale tunisienne à être nommée par un conseil municipal élu – et non désignée par les notables locaux –, et la première femme à accéder à cette fonction.
Les résultats officiels aux élections municipales du 6 mai ont donné son parti, Ennahda en tête des voix à Tunis, sans toutefois obtenir une majorité des sièges : le parti islamiste a obtenu 21 sièges sur 60 dans la capitale, suivi de Nidaa Tounès, avec 17 sièges. Ennahda devra donc parvenir à emporter l'adhésion d'une majorité absolue de conseillers municipaux autour de la candidature pressentie de Souad Abderrahim.
La tête de liste du parti islamiste, âgée de 53 ans, n’est pas novice en politique. Docteure en pharmacie, dirigeante d’une importante entreprise de distribution de produits pharmaceutiques à Tunis, elle fait ses premières armes comme militante pendant ses études au sein de l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), syndicat étudiant islamiste, dissout sous Ben Ali.
"Ce n’est pas étonnant qu’Ennahdha ait choisi une femme comme elle. Déjà à l’époque, elle apparaissait comme une militante convaincue, au fort caractère", se souvient, pour Jeune Afrique, le politologue Riadh Sidaoui qui l’a côtoyé lors des AG étudiantes du temps de sa vie universitaire à Monastir. L’étudiante est arrêtée et emprisonnée durant deux semaines après être intervenue dans une rixe dans un restaurant universitaire, à une époque où les tensions étaient vives entre étudiants gauchistes et islamistes. Son diplôme en poche, Souad Abderrahim se consacre à son métier de pharmacienne, et renonce à porter le voile.
Mais avec le mouvement révolutionnaire de 2011 et le départ de Ben Ali, la politique la rattrape : elle siège au sein du bloc Ennahda sur les bancs de l’Assemblée constituante de 2011 à 2014, prend la tête de la commission sur les droits de l’Homme et les libertés, et se taille à cette occasion une réputation de moralisatrice.
Son passage sur l’antenne de la radio Monte Carlo Doualiya [qui appartient à France Media Monde, aux côtés de RFI et France 24], en novembre 2011, a fait sa réputation et provoqué l'indignation chez les défenseurs des droits de l'Homme. E lle déclarait alors que les libertés doivent être "encadrées par les coutumes, les traditions et le respect des bonnes mœurs", et illustre son propos en dénonçant les mères célibataires qui "ne devraient pas aspirer à un cadre légal qui protège leurs droits".
Des propos "sortis de leur contexte", explique-t-elle aujourd’hui, dans son bureau orné de ses diplômes et de photos de ses enfants. Elle assure s'être excusée et avoir depuis mûri et gagné en expérience politique. "C'est une responsabilité difficile", reconnaît-elle, mais "je suis prête".
Souad Abderrahim revendique des "idées libérales et réformatrices", en lien avec la volonté d'Ennahda de se transformer en parti "musulman démocrate". "Mes orientations sont d'appuyer tout ce qui est en relation avec la citoyenneté, renforcer l'unité du peuple tunisien", énonce-t-elle. Un observateur de la vie politique tunisienne estime "qu'elle n'est pas là par opportunisme, elle a toujours défendu le programme d'Ennahdha à l'Assemblée constituante". C'est "une femme de conviction" qui a "une certaine acuité politique", poursuit-il, "mais elle n'est pas prête à aller n'importe où avec Ennahda, elle tient à son indépendance – elle défend leurs idées tant qu'elle y croit".
Et à ceux qui accusent Souad Abderrahim, forte de son parcours de femme active, non-voilée, de servir de vitrine au parti islamiste et de rassurer les électeurs modérés, un ancien collègue à l’Assemblée, Nawfal Jemmali, rétorque sur Jeune Afrique : "Elle n’a pas gagné parce qu’elle porte ou non un voile, elle a gagné parce qu’elle a fait une bonne campagne et qu’elle est compétente. Son parcours le prouve."
Première étape pour asseoir son pouvoir, Souad Abderrahim devra sceller les termes du "consensus", ce mariage arrangé entre Ennahda et le parti présidentiel Nidaa Tounès qui fonctionne au niveau gouvernemental, et qui est indispensable pour trouver une majorité absolue à l’échelle de la municipalité de Tunis. Quitte à devoir céder la place si les partis en décident ainsi.
Avec AFP