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Épuisement professionnel dans le secteur humanitaire : que font les ONG ?

Qu’ils travaillent auprès des migrants sur la route ou des populations en guerre, les humanitaires ne sont pas épargnés par le stress et les traumatismes. Pourquoi le bien-être des travailleurs n’est-il toujours pas une priorité au sein des ONG ?

En novembre 2016, armées d’une compassion sans borne et poussées par la volonté de se rendre utiles face à la crise des réfugiés qui secoue l’Europe, deux jeunes diplômées du King’s College de Londres mettent sur pied une bibliothèque mobile, ECHO library . Au volant d’un van rempli de livres en arabe et anglais et équipé d’ordinateurs, Laura Samira Naude et Esther ten Zijthoff quittent l’Angleterre pour la Grèce. Là-bas, elles vont de camp de migrants en camp de migrants, essayant d’apporter à ceux qui s'y trouvent un endroit calme et les ressources dont ils ont besoin pour étudier.

Mais très vite, elles s’épuisent. Sans structure et sans financement, l’association ne repose que sur leur bonne volonté : "Vous avez tout le temps des bâtons dans les roues", expliquent-elles. "Au bout d’un moment, nous ne pouvions tout simplement plus faire face, physiquement et mentalement.” Après 7 mois, les deux jeunes femmes sont rentrées en Angleterre. Elles sont aujourd'hui installées en Turquie d'où elles supervisent le projet, conduit en Grèce par deux autres travailleurs humanitaires.

Mais cet épuisement décrit par Laura Samira Naude et Esther ten Zijthoff n’est pas l’apanage des petites structures. Tous les travailleurs et volontaires œuvrant dans l’humanitaire sont susceptibles d’être confrontés à des situations traumatisantes à l’origine d'anxiété, d'épuisement professionnel, de dépression ou de troubles de stress post-traumatique, confirme Matthew Saltmarsh, porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

L’encadrement des personnels par la structure qui les emploie est d’autant plus important qu’ils travaillent dans des pays où l’État de droit est défaillant. "Je n'ai reçu aucune formation en tant que travailleur humanitaire”, dénonce Brendan McDonald, ex-employé du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

En mission en Syrie, se sentant à bout, Brendan McDonald a fait appel à la cellule de soutien de son organisation. Pour toute réponse, il reçoit une brochure sur le yoga. De retour de mission, il reçoit un traitement par anxiolytiques. Pour lui, ce n’est pas tant la situation catastrophique du pays que le “très mauvais management” de l’organisation qui est à l’origine de son stress.

30   % de travailleurs humanitaires victimes de stress post-traumatique

Selon un rapport de la Fondation Antares datant de 2013, 30   % des travailleurs humanitaires ont déjà souffert de troubles de stress post-traumatique. En comparaison, 11 % des anciens combattants américains de la guerre d’Afghanistan en ont été victimes , d’après le Département américain des Anciens combattants.

"Prendre soin de soi, ça semble simple sur le papier. En pratique, c’est bien plus compliqué", témoigne Michael McHugh, infirmier et responsable de la protection de l'enfance, qui a été l'un des premiers volontaires dans les camps de migrants de Calais. Sa formation d'infirmier lui a permis de "se fixer des limites professionnelles", que certains jeunes volontaires sans formation semblent négliger, de peur de ne pas être perçus comme de "vrais humanitaires.”

"J’ai dû mettre en place des pauses obligatoires", ajoute-t-il. "Les gens ont du mal à s'occuper d'eux-mêmes parce qu'ils se concentrent trop sur l’autre. Sauf que lorsqu’ils sont épuisés, ils peuvent devenir destructeurs.”

Michael McHugh constate également combien il est difficile pour certains de se détacher de la mission, même lorsque celle-ci a pris fin   : "Quand j'ai quitté Calais, j'ai quitté Calais. Mais je sais que certaines personnes ont l'impression que leur destin est lié à cet endroit.” Un syndrome que Laura et Esther, avec le projet ECHO, ont pu elles aussi ressentir en quittant la Grèce, un mélange d’insatisfaction et de sentiment de n’en avoir pas fait assez.

Manque de formation

Pour le docteur Idit Albert, consultante psychologue spécialisée dans le traitement de l’anxiété et des traumatismes, le problème est double   : non seulement les troubles liés à la santé mentale sont particulièrement stigmatisés dans le secteur de l’humanitaire, mais le personnel manque de formation.

En l’absence de suivi et d’encadrement, alerte le médecin, les plus acharnés peuvent "perdre de vue leurs objectifs ou devenir cyniques et détachés", explique la Dr Albert. “Qu’est-ce qui fait que des personnes qui se sont lancées dans ce travail, aux valeurs altruistes, peuvent se retrouver dans une situation où elles se comportent à l’opposé de leurs principes de base   ? Comment peut-on en arriver là   ?”, s’interroge-t-elle dans une allusion à peine voilée au vaste scandale d’abus sexuel en Haïti par des employés d’Oxfam , révélé en février dernier.

Contactée à plusieurs reprises, l’ONG britannique dit “(ne pas avoir) d’information et ne (pas pouvoir) commenter l'état psychologique des anciens travailleurs d'Oxfam coupables d'abus sexuel en Haïti.” Pour la Dr Albert, seul un dépistage sérieux permettrait une réduction considérable des risques. Pourtant, au sein de grandes ONG comme la Croix-Rouge ou Médecins Sans Frontières (MSF), ce type de procédure n’est ni un passage obligé, ni un critère d'emploi.

Repenser le secteur humanitaire et ses actions

Lors du World Humanitarian Summit en 2016, Brendan McDonald et d'autres collègues ont tenté d'interpeller l’ONU, demandant à "faire du bien-être des travailleurs une priorité.” "La direction de l'OCHA m'a demandé de ne pas donner suite à l'affaire, ils ont tout simplement pensé que ce n’était pas un problème.” Il a depuis perdu espoir de convaincre la hiérarchie de l’importance de sa requête.

À l’écouter, le chemin semble long pour rendre plus sûr l’un des plus grands secteurs non réglementés du monde, où “l'intimidation, le harcèlement, la mauvaise direction, le licenciement arbitraire du personnel, le racisme inhérent, la misogynie, le harcèlement sexuel sont encore très présents."

Mais pour Amjad Saleem, responsable de la section Volontariat de la Croix-Rouge, le World Humanitarian Summit a tout de même permis d'ouvrir le dialogue afin de repenser le secteur humanitaire.

MSF, le HCR et la Croix-Rouge œuvrent dans ce sens par le biais d'ateliers sur la résilience, l'épuisement professionnel et le syndrome de stress post-traumatique. MSF communique ouvertement sur ses actions, notamment sur Twitter . Matthew Saltmarsh souligne justement que l'avenir d'un lieu de travail plus sûr dépendra de la volonté des organisations à montrer aux nouvelles générations de travailleurs qu'elles sont mieux préparées à les protéger et à les soutenir.