Alors qu’a lieu samedi et dimanche le sixième mouvement de grève à la SNCF depuis le 3 avril, les syndicats fourbissent leurs armes financières pour faire durer le mouvement le plus longtemps possible.
D’un côté, il y a les usagers de la SNCF. Ce week-end, les candidats à une escapade prolongée verront leurs plans contrariés par le sixième épisode de grève au sein de la compagnie ferroviaire, qui s’étalera sur les journées des 28 et 29 avril. De l’autre, il y a les salariés de la SNCF. Les plus assidus pourraient porter leur nombre de jours de grève, dimanche, à 12. Pour les premiers, c’est le week-end qui est sacrifié. Pour les seconds, ce seront plutôt les vacances.
La grève dure depuis le 3 avril, à raison de deux journées tous les cinq jours. Pour la SNCF, le mouvement représentait déjà, mi-avril, près de 100 millions d’euros de pertes. La mobilisation des cheminots, elle, fléchit, signe que les sacrifices se font aussi sentir chez les salariés. Chaque jour non-travaillé entraîne en effet une retenue d'un trentième du salaire brut mensuel. Les premières retenues doivent tomber fin avril mais c’est l’addition de mai qui sera la plus salée. Le gouvernement, lui, assure qu’il maintiendra le cap. Face à cet effort financier, la solidarité s’organise, mais sera-t-elle suffisante ?
Une cagnotte très médiatisée mais insuffisante
Largement relayée dans les médias, une cagnotte Leetchi, mise en place pour soutenir les cheminots par un collectif d’intellectuels mené par le sociologue Jean-Marc Salmon, a explosé les compteurs. Lancée le 23 mars, elle totalise un mois plus tard 927 000 euros de dons destinés aux cheminots, et ne cesse de croître. “Nous avons de la sympathie pour les cheminots grévistes. Ils défendent un de nos biens communs. [...] Il importe que le mouvement puisse durer. Nous soutiendrons financièrement les cheminots", expliquent les initiateurs de la cagnotte sur Mediapart.
Jean-Marc Salmon et les syndicats se sont mis d’accord sur la meilleure façon de distribuer cet argent : il ira à une association créée pour l’occasion par l’intersyndicale (CGT, UNSA, Sud et CFDT). Les statuts de l’association ont déjà été déposés “mais il faut attendre de recevoir le récépissé qui sera envoyé par la préfecture” pour débloquer les fonds, explique Jean-Marc Salmon, joint par France 24, qui espère que cela pourra se faire “au cours de la première semaine de mai”. Ainsi, “aucun syndicat n'aura plus qu’un autre la mainmise sur la cagnotte. Elle sera gérée dans l’unité, et nous (les syndicats) en sommes fiers”, se réjouit Fabien Dumas, membre du bureau fédéral de Sud.
Ensuite, l’argent de la cagnotte viendra aider les grévistes qui en feront la demande, détaille Fabien Dumas. “À priori, l’indemnisation se déclenchera à partir du quatrième jour de grève, pour ceux qui en feront la demande. L’argent ira à tous les grévistes, qu’ils soient syndiqués ou non”, précise-t-il.
À l’heure qu'il est, il reste sept jours avant que la cagnotte ne s’achève et dépasse, peut-être, le million d'euros. La grève, elle, pourrait durer plus longtemps. Les fonds déjà récoltés sont insuffisants, fait remarquer Anasse Kazib. Le délégué Sud-Rail à Paris-Nord, contacté par France 24, se livre à un rapide calcul mental : avec un taux de grévistes qui oscille désormais autour de 20 %, contre 33,9 % le premier jour, la mobilisation concernerait près de 30 000 des 148 000 employés de la SNCF. À cette échelle, un million représenterait 33 euros par personne.
Chaque jour de grève coûte, lui, un trentième du salaire mensuel. Cela représente 70 euros bruts pour les premiers salaires de la grille, en 2016. Autrement dit, à l’heure actuelle, la cagnotte permettrait de compenser une seule demie journée de grève pour les salaires les moins élevés. Or au total, des préavis de grève ont été déposés pour 36 journées de mobilisation.
Chez les adhérents de Sud Rail, où l’on a déposé un préavis reconductible et où les grévistes sont davantage mobilisés, les difficultés pourraient arriver plus rapidement. "Cela fait un mois que je fais grève. Heureusement, j’ai de l’argent de côté, confie Fabien Dumas. Mais les agents du matériel, les 'qualif B' comme on les appelle (parmi les bas salaires évoqués plus haut, NDLR), eux n’ont pas d’économies, ils ont déjà du mal." "Ma compagne fait aussi grève donc on est doublement affectés, ajoute Anasse Kazib, lui aussi chez Sud Rail. On annulera ce qui est secondaire. S’il faut annuler les vacances d’été, on le fera."
D’autres ressources
Heureusement, les syndicats n’ont pas attendu la cagnotte Leetchi pour s’organiser. Des caisses existent autour des différents piquets de grève. "On a des caisses locales, par exemple pour les gens du site de Paris-Nord, explique Anasse Kazib. Sur certaines grèves, on donne parfois la priorité à ceux qui sont vraiment en difficulté et à qui ça peut servir à continuer la grève. Une caisse de grève, ce n’est pas pour rembourser à la fin, mais pour continuer le mouvement."
La CFDT, par ailleurs, tient à disposition de ses adhérents une caisse de grève, la Caisse nationale d’action syndicale (CNAS), financée par une fraction des cotisations. Une somme non négligeable qui atteint près de 126 millions d’euros.
"Dès qu’un mouvement dure plus d’une semaine, les adhérents ont accès à une compensation de 7,30 euros par heure de grève, s’ils ont plus de six mois d’ancienneté au sein du syndicat. Sinon, ils touchent la moitié. Cela représente un peu plus de 50 euros par jour", explique Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la CFDT Cheminots, joint par France 24. Ce service ne pourra être proposé qu’aux adhérents CFDT. "Ce serait assez logique que les syndiqués de la CFDT ne demandent pas à être indemnisés en plus par les fonds de la cagnotte Leetchi", reconnaît-il.
Si la CFDT est la seule à avoir mis en place une telle caisse de grève, les autres syndicats se sont également mobilisés. Sud Rail, par exemple, est parvenu à récolter près de 72 000 euros. L’UNSA est à la traîne mais peut tout de même compter sur près de 13 000 euros.
"Le but n’est pas de rembourser les jours de grève, c’est de tenir, de s’inscrire dans la durée pour gagner", insiste Fabien Dumas. "L’argent n’est pas problématique, abonde Anasse Kazib. Les cheminots sont prêts à se battre : il y en a 9 sur 10, au total, qui se sont inscrits au moins une fois à la grève. Si je dois donner un mois de salaire pour gagner, je m’en fous. S’il faut manger le carrelage de chez moi, vendre la bagnole pour gagner, je le fais." Cagnotte ou pas cagnotte, finalement, certains cheminots sont déterminés à aller jusqu’au bout du mouvement.