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Sanctions américaines : Oleg Deripaska et Viktor Vekselberg, deux oligarques russes qui ont perdu gros

Accusée de faiblesse face à la Russie, l'administration américaine a annoncé pour la première fois des sanctions contre des oligarques proches de Poutine. Parmi eux, Oleg Deripaska et Viktor Vekselberg, deux des hommes les plus riches de Russie.

Les États-Unis ont sanctionné, vendredi 6 avril, 24 personnalités russes, dont des oligarques et responsables gouvernementaux proches de Vladimir Poutine, et 14 entreprises et entités en réponse aux "activités malveillantes" de Moscou cherchant à déstabiliser les démocraties occidentales. Ces mesures visent notamment à punir la Russie pour l'annexion de la Crimée en 2014, sa participation à la guerre en Syrie et son ingérence supposée dans l'élection présidentielle américaine de 2016.

Parmi les personnalités visées par les nouvelles sanctions figurent Oleg Deripaska, un proche de Vladimir Poutine, propriétaire du géant de l'aluminium Rusal, et Viktor Vekselberg, acteur important du secteur énergétique. Ces deux hommes, parmi les plus fortunés de Russie, ont tous les deux bâti leur empire lors des privatisations sauvages post-soviétiques. Et depuis l'annonce des sanctions américaines, ils ont déjà perdu beaucoup d'argent, à cause du décrochage en bourse de leurs entreprises respectives.

Oleg Deripaska, le roi de l’aluminium

La fortune d’Oleg Deripaska est estimée, en 2018, à 5,3 milliards de dollars par le magazine Forbes. Ce magnat à la tête d’un empire dans l’aluminium et l’énergie serait le 19e homme le plus riche de Russie. Devenu la cible de Washington, sa holding EN+ a chuté en bourse à la suite de l’annonce des sanctions américaines. Le groupe Rusal, l'un des premiers producteurs mondiaux d'aluminium, a notamment perdu la moitié de sa valeur lundi à la Bourse de Hong Kong.

Oleg Deripaska a pourtant connu une enfance très modeste. Né, il y a 50 ans à Dzerjinsk, à l’est de Moscou, il est élevé dans la ferme familiale. C’est à l’âge de 11 ans qu’il commence à travailler dans une usine d’Oust-Labinsk. "J’étais l’apprenti d’un électricien, autrement dit, j’étais un véritable ouvrier", a-t-il raconté dans sa biographie sur son site Internet. Il finit par sortir de l’usine et entreprend des études de physique à l’Université de Moscou. Alors que l’Union soviétique s’effondre, il s’associe avec des collègues physiciens et ingénieurs et crée sa première société de négoce de métaux.

En quelques années, il acquiert des usines d’aluminium et fonde, année après année, un empire avec sa holding EN+. Il est élu homme d’affaire de l’année en 1999, 2006 et 2007 par Vedomosti, un quotidien économique russe. "J’ai commencé ma carrière à un moment particulier dans l’histoire. Le pays dans lequel j’étais né et où j’avais grandi avait disparu, mais ce nouveau pays n’était pas encore tout à fait créé. Le premier m’a donné une excellente éducation, et le second m’a donné l’opportunité de réussir", a-t-il décrit dans une interview à Bloomberg. D’un point de vue familial, le milliardaire sait aussi bien s’entourer. Son beau-père Valentin Ioumachev est l’ancien chef de l’administration de Boris Eltsine au Kremlin et sa belle-mère Tatiana n’est autre que la fille de l’ex-président russe.

Mais lors de la crise financière de 2008, son empire vacille. L’homme d’affaires est acculé par les dettes. Mais l’État russe lui permet de les colmater en lui attribuant 4,5 milliards de dollars. Sa fortune chute toutefois de 40 à 3,5 milliards de dollars en un an. À l’époque, ses mésaventures ternissent d'ailleurs ses relations avec le Kremlin. En 2009, Vladimir Poutine, alors Premier ministre, n'hésite pas à le critiquer lors d’une visite dans l’une de ses usines : "Pourquoi est-elle ainsi négligée ? Vous en avez fait une poubelle !". Sa réputation est également sulfureuse. Il n'est pas épargné par les affaires, comme le rappelle l’Express, citant le journaliste américain Paul Klebnikov : "Même si Deripaska agit en patron modèle ou en industriel chevronné, il lui faudra probablement des années pour dissiper l'odeur nauséabonde de criminalité qui entoure l'industrie qu'il contrôle".

Aujourd’hui, son nom apparait dans l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur les éventuelles ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine. Oleg Deripaska aurait été un proche de l’ancien directeur de la campagne de Donald Trump, Paul Manafort, poursuivi dans cette affaire. Selon le New York Times, le milliardaire russe aurait offert de collaborer avec les commissions du Congrès en échange d’une immunité, mais il a réfuté ces allégations, ajoutant ne pas détenir d'informations soutenant la thèse d'une ingérence russe mais "des preuves témoignant du contraire".

Oleg Deripaska a déclaré que son inclusion dans la liste était "désagréable mais anticipée" : "Les raisons de me mettre sur la liste des sanctions sont complètement dépourvues de fondements, ridicules, et simplement absurdes".

Viktor Vekselberg, entrepreneur et collectionneur

Viktor Vekselberg a lui aussi fait fortune sur les ruines de l’Union soviétique, jusqu’à devenir aujourd’hui le 9e homme le plus riche de Russie avec 13,5 milliards de dollars amassés. Il est le propriétaire de la holding Renova, qui détient des participations dans les sociétés suisses Sulzer, Schmolz+Bickenbach et Oerlikon, qui, elles, ne sont pas directement touchées par les sanctions américaines. Mais lundi 9 avril, leurs actions respectives ont perdu 14,57%, 9,21% et 8,47% à la Bourse suisse

Né à Drohobytch dans l’ouest de l’Ukraine en 1957, ce docteur en mathématiques monte à la fin des années 1980 avec des amis mathématiciens une société d’importation d’ordinateurs usagés et de logiciels baptisée KomVek. Dans le même temps, il revend en Allemagne des fils de cuivre récupérés en Russie et se constitue une petite fortune.

Dans les années 1990, il investit ses bénéfices en rachetant des sites de production d’aluminium. Il développe aussi ses activités dans la métallurgie, les mines, le pétrole et même l’hôtellerie avec sa société d’investissement Renova. Le milliardaire avait résumé la clé de son succès dans un article de la Neue Zürcher Zeitung : "Lorsque je débutai mes premières affaires, je saisis qu'avant toute chose, la confiance entre les personnes domine par rapport aux affaires. En second lieu, on a besoin de relations et de compréhension pour saisir comment un système fonctionne. Pour réussir en économie, il est plus important de comprendre la psyché humaine que la technique et l'économie. Cela vaut tout particulièrement pour la Russie".

En 2006, il se rapproche de son principal concurrent RusAl dirigé et détenu par... Oleg Deripaska ! Les deux entreprises fusionnent en août 2006 en une nouvelle société détenue à 75 % par Deripaska et à 25 % par Viktor Vekselberg.

Installé aujourd’hui en Suisse, cet homme d’affaires est aussi connu pour être l’un des plus importants collectionneurs d’œufs de Fabergé, ces objets raffinés et précieux qui faisaient autrefois le bonheur du Tsar et de l’aristocratie russe. Selon l’International Business Times, cette passion lui aurait coûté aux alentours de 100 millions de dollars.

Côté politique, ses relations avec le pouvoir russe ne sont pas très claires. Pour certains, il dispose d’un lien privilégié avec le Kremlin. En 2010, l’ancien président russe Dimitri Medvedev lui a en effet confié le développement de Skolkovo, une ville que le gouvernement ambitionne de transformer en "Silicon Valley russe". Pour d’autres comme le journal suisse 24 heures, il ne fait pas partie du cercle des proches de Vladimir Poutine : "Les liens entre l’oligarque semblent beaucoup plus forts avec les États-Unis, pays qui héberge ses enfants (où ils ont été scolarisés) et dans lequel le Russe a investi près de 1 milliard de dollars". Selon le Washington Post, Viktor Vekselberg aurait ainsi été présent lors de l’investiture de Donald Trump en janvier 2017. Deux de ses associés américains auraient également donné 1,25 million de dollars au comité chargé de l’organisation de cette cérémonie.

Le milliardaire russe a également des liens avec Wilbur Ross, le secrétaire du Commerce des États-Unis, un homme de la finance spécialisé dans la reprise d’entreprises. En 2013, ils se sont associés pour sauver de la faillite Bank of Cyprus, la sulfureuse première banque chypriote, qui compte de nombreux oligarques russes dans son conseil d’administration. D’après le site Mother Jones, des sénateurs démocrates ont envoyé en février 2017 des questions à Wilbur Ross pour l’interroger sur sa relation avec Viktor Vekselberg, auxquelles il n’a à ce jour pas répondu.