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Alors que le PDG de Facebook Mark Zuckerberg se prépare à témoigner devant le Congrès américain dans le cadre du scandale Cambridge Analytica, les exemples de sociétés qui abusent de l’accès aux données privées sur les réseaux sociaux se multiplient.
Sur le devant de la scène, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, se prépare pour son audition par le Congrès américain, mardi 10 avril, au sujet du scandale Cambridge Analytica (CA). En coulisses, Facebook s’active à bloquer les pages d’entités liées à cette firme britannique ou d’autres sociétés qui, comme CA, ont fait leur fond de commerce de l’exploitation de données personnelles obtenues en violation apparentes des règles du réseau social.
Facebook a ainsi suspendu, dimanche 8 avril, le compte de CubeYou, une société qui a obtenu les données personnelles de dizaines de millions d’internautes sous couvert de leur faire passer d’innocents tests de personnalités. Deux jours auparavant, le réseau social avait bloqué la page d’AggregateIQ (AIQ), une structure canadienne accusée d’être liée à Cambridge Analytica et d’avoir œuvré pour le camp du Brexit en 2016 à grand renfort de données glanées sur Facebook.
Ces deux entités ne représentent qu’une infime partie de l’écosystème qui s’est constitué autour de l’exploitation à outrance des informations partagées par les internautes sur Facebook, décrite en profondeur par l’institut de recherche autrichien Cracked Lab dans une étude de juin 2017. Mais, avec Harris Media (autre spécialiste du Big data à visée politique), elles illustrent les excès du commerce des données personnelles.
AggregateIQ (AIQ) a pesé sur le résultat du référendum sur le Brexit en juin 2016. C’est du moins ce que cette société canadienne, spécialisée dans l’exploitation des données Facebook à des fins politiques, assurait sur son site jusqu’au 22 mars. La mention a disparu du jour au lendemain, lorsque les médias ont commencé à s’intéresser aux liens d’AIQ avec Cambridge Analytica.
La société est soupçonnée d’avoir reçu plus de quatre millions d’euros de divers groupes pro-Brexit pour identifier, grâce aux données Facebook, des électeurs dont le vote pourrait être influencé. Un travail similaire à celui que Cambridge Analytica est soupçonné d’avoir effectué aux États-Unis pour Donald Trump et dans nombre d’autres pays.
Pas étonnant : AggregateIQ ne serait, en réalité, qu’une façade pour Cambridge Analytica au Canada. Christopher Wylie, l’ex-salarié de CA qui a révélé les agissements de son ancien employeur, assure avoir personnellement participé à la création de AIQ. Même sans lien juridique officiel, AggregateIQ “était considéré comme notre bureau canadien”, a soutenu Christopher Wylie au Guardian. De son côté, la société canadienne se défend en affirmant “n’avoir jamais eu aucun lien contractuel avec Cambridge Analytica”.
CubeYou n’a plus droit de cité sur Facebook. Cette société fait en apparence pourtant comme des dizaines d’autres : glaner des données personnelles sur les réseaux sociaux et les revendre ensuite à des publicitaires.
Mais la chaîne américaine CNBC l’a prise la main dans le sac à utiliser le même subterfuge que Cambridge Analytica pour étoffer illégalement sa base de données. Elle utilisait des quizz sur Facebook, présentés comme étant développés avec le concours de spécialistes de l’Université de Cambridge, pour obtenir des informations précieuses sur le profil de dizaines de millions d’utilisateurs du réseau social. Les données ainsi récoltées servaient, officiellement, à mener des recherches académiques. Mais en réalité, CubeYou les revendait à des “partenaires commerciaux”.
Une technique qui aurait, d’après CNBC, permis à la société d’établir un profil pour 45 millions d’utilisateurs de Facebook, comprenant des informations comme l’âge, l’emploi, les études, les centres d’intérêts, les marques suivies sur le réseau social ou encore les messages “likés” et les commentaires laissés.
Harris Media a, en revanche, toujours pignon sur Facebook, et continue à y vanter les mérites de son approche “big data” de la communication politique… très proche de celle de Cambridge Analytica. Mais pour certaines ONG, cette société américaine ne vaut pas mieux que sa concurrente britannique.
En décembre 2017, une enquête de l’association Privacy International accusait Harris Media d’avoir influencé l’élection présidentielle kényane en faveur du président sortant, Uhuru Kenyatta, en créant des vidéos en ligne pour discréditer le leader de l’opposition Raila Odinga. “En commençant notre enquête, nous pensions tomber sur Cambridge Analytica [qui a également travaillé pour le pouvoir kényan durant la campagne électorale, NDLR], car les méthodes étaient similaires”, explique Lucy Purdon, porte-parole pour Privacy International, contactée par France 24.
Harris Media, tout comme Cambridge Analytica, est assis sur une mine d’or d’informations glanées sur les réseaux sociaux concernant des millions d’internautes. Des données qui lui permettent, ensuite, des créer des contenus - vidéos, sites, pages Facebook - adaptés très précisément au profil des électeurs visés. Outre Uhuru Kenyatta au Kenya, cette société, proche des milieux ultra-conservateurs américains, a mis son savoir-faire au service du Front national en France, du parti populiste allemand Alternative für Deutschland, du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et d’une longue liste de politiciens conservateurs américains… dont Donald Trump.
Son fondateur, Vincent Harris, a été qualifié par le site Bloomberg de “créateur de l’Internet républicain” en 2014. Il est un adepte des opérations coup de poing sur le Net. Au Kenya, les vidéos de Harris Media laissaient entendre que l’arrivée au pouvoir de l’opposition entraînerait des violences raciales sanglantes. En Allemagne, la société a été responsable de clips de campagne mettant en garde contre la supposée islamisation galopante du pays. Des vidéos déclinées aussi en Français pour dénoncer le candidat Emmanuel Macron.
La principale différence avec Cambridge Analytica est qu’on ne sait pas combien d’internautes sont ainsi fichés par Harris Medias et quelle est l’étendue des informations recueillies sur chacun d’eux. La raison : il n’y a pas eu de lanceur d’alerte comme dans le cas de Cambridge Analytica et Harris Media “est soumis au droit américain, bien moins protecteur des données personnelles”, assure Lucy Purdon.
Si le scandale Cambridge Analytica a amené Mark Zuckerberg à témoigner devant le Congrès américain, il y a fort à parier que les questions ne porteront pas seulement sur ce cas précis.