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D'Alep à Paris, la pâtissière Myriam Sabet marie saveurs de France et du Levant

La pâtisserie Maison Aleph, dans le 4e arrondissement de Paris, rappelle qu’Alep a un autre visage que celui la guerre. Myriam Sabet, palais absolu, à mi-chemin entre la France et le Levant, y ressuscite l'âge d'or de sa ville natale.

Alep. Attendez… Pas cette Alep-là. Au 20 rue de la verrerie, dans le quatrième arrondissement de Paris, c’est de la dernière étape orientale de la Route de la soie qu’il s’agit. Des "Mille et une Nuits" et de ses jasmins enivrants, de Samarcande et de ses pétales de rose cristallisés. C’est dans cette Alep-là que Myriam Sabet est née et a grandi. Et à cette Alep-là que cette jeune prodige de la pâtisserie rend hommage dans son écrin baptisé il y a bientôt un an Maison Aleph, en référence à la première lettre de l’alphabet arabe et hébreu "mais aussi en résonance avec Alep".

"J’ai eu beaucoup de chance de grandir dans cette ville où toutes les familles accordent beaucoup d’importance à la gastronomie, confie la jeune femme, dont l’œil pétille de gourmandise. À Alep, les familles sont reconnues pour la qualité de leur cuisine, c’est une source de fierté et d’orgueil." Et la ville, l’une des plus anciennes habitées du monde, a de quoi s’enorgueillir. Alep était la dernière étape orientale de la Route de la soie et occupait une place de choix quant à la sélection des matières premières qui arrivaient – fruits et épices venus de Chine et d’Inde. "C’était une ville associée aux plaisirs et elle a attiré beaucoup de gourmets et de cuisiniers. Beaucoup plus qu’une autre ville, Alep a dans son ADN une recherche du plaisir de la gastronomie", renchérit Myriam Sabet.

Recréer des émotions

Avant que la guerre n’éclate en 2011, la deuxième ville de Syrie, située dans le Nord-Ouest, était unanimement encensée pour sa gastronomie. "C’est ici que vous trouverez les meilleurs restaurants de Syrie", affirmaient les guides de voyage.

Un avis que partage Kamal Mouzawak, auteur de "Manger libanais", contacté par France 24. "Alep est la ville qui incarne la sophistication par excellence : ‘Halabi chalbi’, dit-on, Aleppin, sophistiqué". Le fondateur de l’ONG "Make food not war" ("Faites la cuisine, pas la guerre") poursuit : "Depuis toujours, c'est une ville de commerce, d'échange, de richesses à tous les niveaux, et surtout au niveau culinaire. La cuisine d'Alep est une cuisine à part de celle de toute la région de par sa richesse, sa sophistication, sa technique, ses goûts !"

Des goûts uniques que la Franco-Syrienne partage désormais avec sa clientèle. "Je pioche dans mes souvenirs, comme cette glace à base d’infusion de graines de melon et de pastèque torréfiées. Je me souviens du goût et j’essaie de le recréer." Bigarade, cédrat, "l’évidence de la rose", pistache, fleur d’oranger... Sa vitrine est une fenêtre sur le jardin de son enfance. Un coup d’œil et nous voilà transportés dans ses souvenirs sucrés. Ses repas du dimanche où famille et belle-famille rivalisaient de talents culinaires. Ses balcons où confisaient plusieurs jours au soleil des abricots rougis de sucre. Ses goûters sur le chemin de l'école composés de tartines d'halva (confiserie à base de sésame) ou encore de glaces à la cerise et à l’amande.

Des salles de marchés au sucré

Trente ans plus tard, et une première carrière dans la finance, qui lui a appris l’analyse et le recul, Myriam Sabet lève le voile sur ce que le Levant a de plus fin à offrir : amande-fleur d’oranger, citron-cardamone, zaatar-orange, chocolat-sumac, l’eau de rose, recette de sa grand-mère, dont elle glisse souvent une bouteille dans le sac d’école de sa fille. Et la pistache. Surtout la pistache, dont elle se souvient, avec émotion, du concert de cliquetis que produisait leur éclosion à la pleine lune…

C'est dans son laboratoire voisin qu'elle recrée ses émotions d’enfance. "Petite, j’aimais tout ce qui était sucré : le 'knafé be jebné', des cheveux d’ange dorés entourant une fine couche de fromage fondu, nappé de sirop de fleur d’oranger, les glaces à la cerise vishné, aigre-douce, la confiture de noix vertes…" La liste est longue et celle qui vient de fêter ses 41 ans est intarissable sur le sujet.

Tous ses souvenirs, elle n’aurait jamais pensé pouvoir en faire son métier. "Si on m’avait dit que j’allais ouvrir une pâtisserie, je ne vous aurais pas cru. Je vis un rêve. C’est tellement gros que jamais je n’aurais osé l’exprimer. Faire de la pâtisserie, parler de mon métier, faire découvrir, partager… C’est mon kiff !", lâche-t-elle avec autant de spontanéité que de générosité.

C’est sa gourmandise qui l'a menée des salles de marché jusqu’à la pâtisserie. "Avoir donné naissance à ma fille m’a fait ressentir le besoin de donner du sens à ce que je faisais. Il y a des choses que je n’acceptais plus. La pâtisserie étant mon plaisir premier, c’est devenu une évidence", s’exclame-t-elle dans sa boutique graphique et épurée du Marais, où les nuances de bleu méditerranéen conjuguées à l’or et au blanc immaculé drapent de douceurs les clients.

"Je ne trouvais pas de pâtisserie orientale à Paris qui me convenait et je ne concevais pas que mes amis puissent avoir cette image de la pâtisserie orientale et qu’ils trouvent cela bon. Ça m’a donné envie de faire connaître des parfums tels qu’ils devaient être connus", explique-t-elle entre les flots de clients – de l’homme d’affaires à la touriste japonaise, en passant par ce jeune écolier qui rassemble les quelques pièces tombées au fond de son cartable pour goûter à la nouveauté : l’œuf de Pâques garni de praliné, amande et noisette, avec une pointe de fleur d’oranger, monté sur un nid de cheveux d’ange.

Double culture, double formation

Pour mener à bien son projet, Myriam Sabet passe un CAP de pâtisserie à Paris en 2014 puis entreprend de s'initier au savoir-faire aleppin. C'est au Canada qu'elle retrouve un maître pâtissier, dont le père exerçait déjà à Alep au temps de son grand-père. "Il m’était fondamental de connaître l’alphabet du métier, tant français que traditionnel syrien. Je voulais partir des deux bases pour réinterpréter, adapter. Nous sommes très loin de la pâtisserie du Moyen-Orient mais je tiens à faire découvrir les parfums tels qu’ils sont, la fleur d’oranger, telle qu’elle est."

Ici, tout est question de parfum, d’émotions à partager. "Je ne fais ni de la pâtisserie française ni de la pâtisserie levantine", souligne-t-elle. Ainsi, le chocolat français côtoie la grenade, le beurre est clarifié, comme le veut la tradition orientale mais il est AOP de Poitou-Charentes. Les fruits frais, absents de la pâtisserie levantine, se nichent au creux des cheveux d’ange – "kadaïf" –, représentatifs des desserts du Moyen-Orient.

"Son travail est à l'image du monde d'aujourd'hui : divers, coloré. C’est un 'patchwork'. La pâtisserie de Myriam n’est pas une fusion mais bien un mélange des bases et ingrédients d'une pâtisserie orientale avec ceux de la pâtisserie française. À l'image de ces êtres que nous sommes", raconte Kamal Mouzawak, qui l’a très tôt encouragée à "raconter ses origines tout en douceurs".

De la douceur, il en faut. Son berceau, qui est aussi celui de la cuisine levantine, est détruit par une guerre qui est entrée en mars 2018 dans sa huitième année. Reste la gastronomie, ses souvenirs, les goûts de son enfance. "On n’a jamais autant parlé de la cuisine levantine que depuis le début de la guerre en Syrie. La Maison Aleph est ma manière de célébrer une gastronomie, de faire revivre les saveurs même si ce n’est pas fait de manière traditionnelle."