
Il y a dix ans, le Français Jean-François Camilleri créait le label Disney Nature : des docus sur les chimpanzés, les insectes et maintenant les dauphins avec "Blue", qui ont pour vocation de sensibiliser le grand public aux défis environnementaux.
Bien sûr, les animaux font depuis toujours partie de l'imaginaire de Disney. De Simba dans "Le Roi Lion" à Baloo l'ours du "Livre de la Jungle" en passant par Sébastien le crabe de "La Petite sirène", on a grandi devant des histoires d'animaux qui chantent et qui font des blagues. Mais depuis 2008, les jeunes spectateurs de Disney peuvent aussi écarquiller les yeux devant des images d'animaux en chair et en poil avec les documentaires du label Disney Nature, pour lequel le traditionnel château de Cendrillon du logo s'est mué en iceberg.
Jean-François Camilleri préside depuis Paris les activités de la Walt Disney Company pour la France, le Benelux, le Maghreb et l'Afrique francophone. Et c'est lui qui a eu l'idée, il y a dix ans, de fonder un label dédié à la production documentaire sur les animaux et la nature – 60 ans après la série de documentaires "True Live Adventures", lancée par Walt Disney himself.
Engagé mais pas militant
"L'engagement des entreprises est clé sur les grands défis de la planète. Et une société comme Disney, qui a la chance de parler à des millions de gens dans le monde, a la responsabilité de profiter de cette grande audience pour faire passer des messages et pour donner envie aux gens d'y réfléchir, d'agir ou de transmettre", développe le directeur général de Disney Nature, interviewé par Mashable FR.
Les documentaires sur les pandas de "Nés en Chine", les flamants roses de Tanzanie de "Les Ailes pourpres", les singes de Côté d'Ivoire dans "Chimpanzés" et maintenant l'écosystème marin de "Blue", au cinéma le 28 mars en France, ont toujours été entièrement tournés en milieu naturel, jamais dans un aquarium ou dans un parc.
Et si le temps de production s'étire parfois pour capter le comportement bien particulier d'un animal sauvage, Jean-François Camilleri assure que ces films "coûtent peu d'argent". Les documentaires les plus récents de Disney Nature auraient engagé autour de 10 millions d'euros selon des chiffres non officiels. À titre de comparaison, les budgets de production des derniers blockbusters de Disney "Star Wars : Les Derniers Jedi" ou "Black Panther" s'envolent à 200 millions d'euros.
Un storytelling de la beauté
Si le budget n'est pas comparable, le storytelling de Disney, lui, est le même partout. L'histoire doit être positive, les personnages attachants et les images belles. Aussi surprenant que celui puisse paraître, le documentaire "Blue" sur la grouillante faune et flore sous-marines ne contient presque pas d'images de coraux blanchis et cassés, ou de tortues de mer asphyxiées dans un sac poubelle qui sont souvent légion lorsqu'on parle des conséquences de l'homme sur les océans. De la même façon, le documentaire "Félins" avait été nettoyé des scènes trop violentes de chasse carnassière. Une "ligne éditoriale de la beauté" assumée par Jean-François Camilleri qui refuse net l'étiquette de "film militant" : "Le discours militant, il est important. Mais ce n'est pas ce qu'on doit faire ni ce qu'on sait faire. On n'est pas des scientifiques."
"Arrêtons de culpabiliser, mais responsabilisons plutôt les gens"
Mais peut-on vraiment sensibiliser et inciter au changement sans passer par des images choc ? Le biologiste Gilles Boeuf, qui a collaboré à l'écriture du commentaire du film narré par Cécile de France, en est convaincu. "Le discours ne doit pas être catastrophique ou alarmiste. Arrêtons de culpabiliser, mais responsabilisons plutôt les gens", soutient-il à Mashable FR. "Il faut qu'on accepte d'admettre qu'on ne peut pas continuer comme on le fait aujourd'hui. Il faut arrêter de polluer, de détruire, de surexploiter, de tout disséminer partout. Il faut qu'on utilise nos neurones pour tout faire pour que le climat ne change pas trop vite !"
Ce professeur d'université, ex-président du Muséum national d'Histoire naturelle, défend avec enthousiasme ce "joli support" qu'est "Blue", sans doute "moins aride qu'un simple discours scientifique". Bien sûr, la trame narrative entre les différents êtres vivants du film (dauphins, orques, baleines, coraux, poissons perroquets ou squille multicolore) a été imaginée par les humains – "les animaux, ils n'ont pas d'histoire. Le dauphin il a son comportement, la mante de mer a le sien, les êtres du corail ont le leur", dit-il –, mais reste que scientifiquement "tout est plausible" : "S'il y avait de grosses choses choquantes, je serais intervenu et je l'aurais dit !"
"On nous emmène dans des endroits où les scientifiques n'ont ni les moyens financiers ni techniques d'arriver"
Et si Disney veille à s'entourer de scientifiques sur toutes les étapes de la fabrication de ses documentaires pour assurer la légitimité de son discours, ces superproductions ont aussi un véritable intérêt pour la communauté des biologistes. "On nous emmène dans des endroits où on n'a ni les moyens financiers ni techniques d'arriver. Quand on suivait Nicolas Hulot sur les tournages d'Ushuaïa, on allait sur un petit caillou perdu au fin fond de la Patagonie presque impossible à rejoindre", raconte Gilles Boeuf. "Et voyez tout ce qu'on a trouvé lorsqu'on a fait 'Le radeau des cimes', (un programme d'expéditions avec des engins volants originaux dans les canopées forestières, sur lequel Antoine de Maximy a réalisé un documentaire, ndlr). Il y a une fécondation mutuelle entre le scientifique et le cinéaste vulgarisateur."
Quand la biodiversité devient grand public
Le 10e anniversaire de Disney Nature, tout comme le succès populaire des récents documentaires "Une suite qui dérange" d'Al Gore, "Blue Planet II" de la BBC ou "Chasing Coral" de Netflix sont la preuve que les enjeux environnementaux intéressent et prennent de plus en plus de place dans l'opinion publique. "Pendant longtemps, nous scientifiques, on a été des farfelus dans des laboratoires. Mais aujourd'hui, la biodiversité c'est trop grave pour être uniquement un problème de farfelus. On est tous liés à ça", insiste Gilles Boeuf. Désormais même pour ses blockbusters, Disney s'appuie sur les connaissances des équipes de Disney Nature. Le rôle du requin-baleine dans "Le Monde de Dory" de Pixar a ainsi été façonné avec leur conseil pour plus de réalisme.
"Il est capital que Disney montre l'exemple et s'engage"
En plus de lutter contre "le déni, la méconnaissance et la mésinformation persistante sur ces thématiques-là", Jean-François Camilleri croit à une deuxième mission pour son label : "Ces films sont là pour inciter au changement, à l'action. Donc il est capital que nous montrions l'exemple, et que nous nous engagions". Pour ce faire, Disney Nature accompagne chacune de ses sorties d'un investissement financier auprès d'une ONG de protection de la nature : la Fondation Jane Goodall pour la sortie de "Chimpanzé", Save our Species pour "Grizzly" ou la Fondation Tara Expéditions pour "Blue".
Si on ne doute pas de la sincérité de l'engagement de Jean-François Camilleri et Disney Nature, difficile par contre de quantifier les conséquences de ces films sur les comportements des quelque 30 millions de spectateurs à travers le monde...
On n'aura pas non plus réussi à savoir si, comme chez Netflix ou Amazon, les documentaires auront une place bien particulière sur la plateforme de SVOD que prépare Disney pour l'année prochaine. Jean-François Camilleri a plutôt la tête au Bostwana où une petite équipe de Disney Nature suit depuis deux ans déjà les éléphants du delta d'Okavango, "le plus beau delta du monde", pour un prochain documentaire.
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