
À l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, France 24 décrypte l'essor phénoménal des discours masculinistes. © Studio graphique FMM
Affirmant s'appuyer sur les sciences, des statistiques ou des anecdotes présentées comme des preuves, la propagande masculiniste diffuse des idées qui semblent plausibles au premier regard. Mais face à des chiffres faussés, des études mal analysées ou encore des discours parcellaires, ces preuves s'effondrent bien souvent face aux données.
France 24 déconstruit, chiffres et études à l'appui, différentes thèses fréquentes dans le discours masculiniste.
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Thèse n°1 : "Autant d'hommes que de femmes sont victimes de violences conjugales"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Cet argument présente les violences conjugales comme "symétriques", "réciproques" , c'est-à-dire qu'autant d’hommes que de femmes en seraient victimes. Selon les mouvements masculinistes, pointer systématiquement les violences masculines serait donc de la "misandrie" [aversion pour les hommes].
Dans les faits :
À l'échelle mondiale, près d’une femme sur trois, soit environ 840 millions, est victime de violences conjugales de la part d’un conjoint ou ex-conjoint ou des violences sexuelles d’un non-partenaire au cours de sa vie.
Au sein de l'UE, 17,7 % des femmes ont subi des violences physiques ou des menaces et/ou des violences sexuelles au cours de leur vie de la part d'un partenaire intime. Et ce taux augmente si l'on prend en compte la violence psychologique, atteignant 31,8 %, selon les chiffres de l'Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA) publiés en novembre 2024.
En France, en 2024, 84 % des victimes de violences conjugales étaient des femmes (elles représentaient également 98 % des victimes de violences sexuelles) – 16% des victimes étaient donc des hommes.
Ainsi, si les hommes peuvent aussi être victimes de violences conjugales, la structure des violences est bel et bien asymétrique : la répétition, le contexte de domination et les conséquences sont beaucoup plus lourds pour les femmes. "Les inégalités structurelles encore persistantes dans la société et l’apprentissage d’une culture stéréotypée participent au socle sur lequel s’appuient les violences contre les partenaires intimes", précise la Fédération citoyens et justice.
Par ailleurs, l'association SOS Violence Conjugale, qui offre des services d’accueil, d’information, de sensibilisation et de référence aux victimes au Canada, évoque dans un article l'importance de distinguer la violence de celui qui agresse – l'homme dans la plupart des cas – et la violence de celui qui se défend, autrement appelée une "violence réactionnelle" ou "résistance violente".
Ce qu'il faut comprendre :
Parler de violences genrées, ce n’est pas "oublier" les hommes victimes, c’est décrire un phénomène massif où les femmes restent les premières cibles.
En affirmant que la violence conjugale est majoritairement "symétrique", cette thèse inverse le rapport de domination et gomme le caractère systémique des violences faites aux femmes pour en faire un simple conflit individuel.
"Cette thèse de la symétrie de la violence permet de banaliser, voire de nier les violences faites aux femmes (...) et finalement de nier l’existence du système hétéropatriarcal, un système hiérarchique qui accorde des privilèges aux hommes et opprime les femmes", écrit ainsi la sociologue québécoise Louise Brossard.
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Thèse n°2 : "Les femmes mentent sur les violences pour détruire les hommes"
Variantes : En accusant les hommes de violences, "elles cherchent la gloire" ou "veulent briser des carrières"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Les accusations de viol, d’agression, de violences conjugales seraient majoritairement mensongères et utilisées comme arme pour obtenir de l'argent, des avantages juridiques, ou pour nuire à la réputation ou à la carrière d'un homme.
Dans les faits :
La plupart des travaux s'accordent à dire que les fausses allégations de viol sont minoritaires. En général, elles concernent entre 2 % et 8 % des plaintes, selon les méthodologies.
"Environ 3 à 5 % des plaintes pour viol ou agression sont classées comme fausses ou mensongères après enquête, selon le cabinet d'avocats pénalistes ACI. Le reste est classé sans suite faute de preuves, sans que cela implique qu'il y a eu un mensonge."
Selon la cellule de vérification des faits du média britannique Channel4, au Royaume-Uni, un homme a 230 fois plus de chances d'être violé que d'être accusé à tort de viol.
Le problème est plutôt l’inverse, avec une proportion énorme de violences jamais signalées. Selon le ministère français de la Justice, "quatre femmes victimes de violences sur cinq ne portent pas plainte".
Par ailleurs, les nombreuses polémiques autour de célébrités masculines accusées ces dernières années de violences sexuelles débunkent à elles seules l'argument selon lequel des hommes accusés de violences sexuelles verraient leur carrière "brisée".
"Généralement, la carrière des hommes nantis ou puissants, qui sont accusés, voire même condamnés pour violences, n'est pas si affectée que ça. Surtout s'ils sont blancs", précise Stéphanie Lamy, chercheuse et autrice de "La Terreur masculiniste", aux éditions du Détour.
Ce qu'il faut comprendre :
S’appuyer sur quelques cas médiatisés pour en faire une généralité est une stratégie de désinformation.
Les fausses accusations existent, elles doivent être traitées et sanctionnées, mais elles restent extrêmement minoritaires par rapport à l’ampleur des violences réellement subies, dénoncées et non dénoncées.
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Thèse n°3 : "La justice est contre les hommes et contre les pères"
Ce que dit la propagande masculiniste
Les juges seraient pro-mères, et les pères seraient systématiquement "spoliés" de la garde de leurs enfants.
Dans les faits :
En France, après séparation d'un couple, la résidence principale de l'enfant est encore majoritairement fixée chez la mère (dans environ 70 à 80 % des cas), mais dans la majorité des cas, ces situations résultent d’accords amiables (80 à 85 %), pas d’une décision arrachée de haute lutte au père devant un juge.
Par ailleurs, la garde alternée progresse régulièrement depuis vingt ans. Si un père demande l'alternance, elle est accordée dans 86 % des cas, rappelle sur son compte Instagram, Cédric Rostein du podcast "Papatriarcat"
Plusieurs études montrent que les décisions suivent surtout la prise en charge principale avant la séparation (qui s’occupait déjà le plus des enfants) plutôt qu’un favoritisme de genre affirmé.
Ce qu'il faut comprendre
Les récits masculinistes tordent le réel en invisibilisant tout un pan de la réalité : des pensions alimentaires impayées (25 à 35 %), des mères qui assument seules la charge mentale et matérielle, des difficultés à faire reconnaître les violences intrafamiliales devant les tribunaux.
Ils présentent la justice familiale comme "pro-femmes", alors même que les femmes restent sur-représentées parmi les parents pauvres après séparation et les victimes de violences non protégées.
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Thèse n°4 : "Le féminisme détruit la société, la famille et le désir"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Le féminisme serait responsable de la "crise de la famille", de la baisse de la natalité, du célibat, et de la frustration sexuelle masculine.
Dans les faits :
Sur la famille, les données montrent surtout que la montée du féminisme coïncide avec une baisse des mariages forcés et des unions précoces et avec une baisse des violences conjugales dans les pays qui investissent fortement dans les politiques d’égalité.
Sur le désir, les enquêtes sur la satisfaction conjugale montrent que les couples les plus stables sont souvent ceux où le partage des tâches et la communication sont les plus égalitaires.
Ce qu'il faut comprendre :
L’argument "destruction de la société" est un classique des contre-révolutions : il était déjà utilisé contre l’abolition de l’esclavage, le droit de vote des femmes ou encore les droits civiques.
"La grande métathèse, c'est effectivement une 'conspiration de remplacement' comme dans la théorie du 'grand remplacement', mais ici ce sont les femmes qui remplaceraient les hommes blancs, et non des hommes en situation de migration", analyse Stéphanie Lamy.
On présente des inégalités comme nécessaires à la "survie de la civilisation", alors que les données montrent que les sociétés les plus égalitaires sont aussi les plus prospères et les plus sûres.
Retrouvez le premier volet de la série L'essor du masculinisme (1/3) : les violences numériques et la haine des femmes
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Thèse n°5 : "Une femme qui a déjà eu plusieurs partenaires sexuels ne peut plus s'attacher à un homme"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Une "bonne" femme est censée avoir eu peu ou pas d'antécédents sexuels.
La théorie du "bodycount" repose sur un argument pseudo-scientifique autour de l'ocytocine, l'hormone de l'attachement. À chaque rapport, une femme "libérerait" une certaine quantité d'ocytocine qui la "lierait" à son partenaire. Après "trop" de partenaires, son stock d'ocytocine serait épuisé, donc elle ne pourrait plus "créer de lien", ni s'attacher durablement.
Dans les faits :
L'organisme synthétise de l'ocytocine en continu tout au long de la vie. Aucune étude sérieuse ne montre qu'un nombre élevé de partenaires sexuels endommage la production ou les effets de l'ocytocine chez les femmes.
Ce qu'il faut comprendre :
Cette thèse entérine un double standard : la sexualité masculine serait neutre ou valorisée, la sexualité féminine dégraderait la femme.
Cette théorie permet par ailleurs de justifier le contrôle du corps et de la vie intime des femmes, et à pathologiser les femmes qui ont une vie sexuelle autonome.
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Thèse n°6 : "Les femmes ont trop de privilèges"
Variante : "Le féminisme va trop loin, les femmes ont désormais plus de droits que les hommes"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Les féministes auraient obtenu "trop" de droits : lois protectrices, quotas, dispositifs spécifiques… Les hommes seraient désormais désavantagés.
Dans les faits :
Sur le plan économique, selon les données d'Equal Measures 2030 – coalition de dirigeants nationaux, régionaux et mondiaux issus de réseaux féministes, de la société civile et du développement international – plus de 2,4 milliards de filles et de femmes vivent dans des pays, dont les scores en matière d'égalité de genre sont "mauvais" ou "très mauvais".
À ce rythme, "aucun pays [parmi les 139 étudiés, NDLR] n'est en voie de parvenir à l'égalité de genre d'ici 2030", selon le texte.
En France, les femmes gagnent toujours moins que les hommes – même à poste égal – et leurs revenus annuels sont en moyenne 22 % plus bas, souvent en raison du temps partiel subi et d'interruptions de carrière liées aux enfants.
Elles assument par ailleurs toujours la majorité du travail domestique et de soin non rémunéré, sont moins présentes aux postes de décision politique et économique, et restent les principales victimes de violences sexistes et sexuelles.
Ce qu'il faut comprendre :
Les "privilèges" brandis par les masculinistes (quotas, lois spécifiques) sont en réalité des tentatives de correction d’un déséquilibre massif, pas une inversion de la domination.
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Thèse n°7 : "Les lois sur le consentement vont trop loin, on ne peut plus draguer"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Les évolutions sur la "culture du consentement" rendraient "tout" passible de poursuites : une drague un peu insistante, un baiser, une mauvaise communication… On serait dans la "paranoïa".
Dans les faits :
Les lois récentes sur le consentement ne criminalisent pas "la drague", mais les actes sexuels sans accord libre et éclairé. Elles remplacent la logique "s’est-elle débattue ?" par "a-t-elle clairement dit 'oui' ?".
Les études montrent que ce qui est visé, ce ne sont pas les malentendus ponctuels, mais des schémas répétés d’insistance, de pression, de contrainte subtile ou manifeste, que les victimes décrivent très clairement comme non désirés.
Plusieurs enquêtes auprès de jeunes montrent que la pédagogie sur le consentement améliore la qualité des relations et réduit les violences, sans empêcher le flirt ou le désir.
Ce qu'il faut comprendre :
Le discours "on ne peut plus draguer" sert à délégitimer la simple idée que le désir des femmes compte autant que celui des hommes.
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Thèse n°8 : "Les hommes sont les vraies victimes"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Les hommes seraient écrasés par le féminisme, abandonnés à leur détresse (suicide, échec scolaire, chômage) tandis que tout l’argent irait aux femmes.
Dans les faits :
S'il existe un vrai problème de santé mentale masculine, de suicides, d’addictions et de violence entre hommes, les recherches montrent qu’ils sont fortement liés aux normes virilistes (injonction à ne pas demander d’aide, à prendre des risques).
Les discours masculinistes utilisent ces souffrances pour attaquer le féminisme, au lieu de remettre en cause ces normes.
Ce qu'il faut comprendre :
Le masculinisme instrumentalise des détresses réelles, mais les oriente contre les femmes, au lieu de s’attaquer aux causes structurelles (précarité, virilisme, absence de politiques publiques adaptées).
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Thèse n°9 : "Les féminicides ne sont que des faits divers, pas un phénomène systémique"
Ce que dit la propagande masculiniste :
Les meurtres de femmes seraient des histoires individuelles tragiques, sans lien entre elles. Parler de "féminicides" serait idéologique.
Dans les faits :
En 2024, 83 300 femmes et filles ont été tuées intentionnellement dans le monde, dont environ 50 000 par leur partenaire intime ou un membre de leur famille, selon les chiffres de l'ONU Femmes. Autrement dit, 137 femmes et filles perdent la vie chaque jour dans le monde aux mains d’un partenaire ou d’un proche. Des meurtres qui sont "souvent la culmination d’épisodes répétés de violence basée sur le genre".
En France, chaque année, près de 120 femmes sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Pour la seule journée du jeudi 20 novembre 2025, quatre femmes ont été tuées par leur ex-conjoint. Les rapports officiels montrent des facteurs récurrents : violences antérieures, séparation récente, non-respect d’ordonnances de protection...
Ces données plaident pour une lecture structurelle : ces meurtres ne sont pas des éclats isolés, mais la pointe extrême d’un iceberg de violences conjugales et sexistes.
Ce qu'il faut comprendre :
Réduire les féminicides à de simples "faits divers" permet au discours masculiniste de nier le caractère systémique des violences masculines et d'effacer la responsabilité collective des agresseurs.
En dépolitisant ces crimes, cette thèse bloque toute réponse publique ambitieuse et entretient le mythe selon lequel "les féministes exagèrent" et "les hommes seraient les véritables victimes".
