Les taxes douanières sur les importations américaines d'acier et d'aluminium ne concerneront finalement pas tout le monde : l'Europe, notamment, en est exemptée. Trump souhaite ainsi forcer Bruxelles à rejoindre sa croisade contre Pékin.
Changement de ton. Après avoir menacé le monde entier de taxes sur les importations d'acier et d'aluminium, le président américain Donald Trump a finalement opté pour des tarifs douaniers à géométrie variable, jeudi 23 mars. L’Europe, la Corée du Sud, l’Argentine, l’Australie et le Brésil y échapperont, dans un premier temps. Ils rejoignent ainsi le Canada et le Mexique, qui avaient déjà été exemptés. Les autres États, dont la Chine, restent concernés par cette taxe.
Les pays ayant été épargnés du courroux douanier américain partagent tous une même caractéristique : ils sont engagés dans des (re)négociations d’accords commerciaux avec les États-Unis. Washington a remis sur la table, depuis janvier 2018, les termes de l’accord bilatéral avec la Corée du Sud, veut modifier l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain) et cherche à rééquilibrer sa balance commerciale avec l’Europe.
Front antichinois
La menace des tarifs douaniers est utilisée comme un joker pour peser sur ces négociations, d'après Pascal de Lima, économiste en chef au cabinet de conseil Harwell Management, contacté par France 24. Donald Trump a, d’ailleurs, clairement assumé ce chantage commercial, se réservant ouvertement la possibilité de soumettre l’Europe à ces taxes si les négociations traînaient.
Au vu des derniers dossiers passés entre les mains du locataire de la Maison Blanche, le revirement de Donald Trump apparaît cohérent. "Il provoque fort pour adopter ensuite des positions plus modérées, comme dans le dossier nord-coréen ou climatique”, estime Pascal de Lima.
Le président s'est aussi montré plus accomodant avec l'Europe, car il besoin de trouver des alliés contre la véritable cible de son offensive commerciale : la Chine. Pékin reste soumis aux taxes douanières et les États-Unis ont révélé, jeudi 22 mars, de nouvelles sanctions contre la première puissance économique d’Asie. "L'idée est clairement de constituer un front commun contre Pékin", assure Jean-François Dufour, responsable du China Control Panel pour le cabinet de conseil Montsalvy consulting, contacté par France 24.
En échange de l’abandon des tarifs douaniers, l’administration américaine s’attendrait à des mesures protectionnistes européennes à l’égard des exportations chinoises. "Donald Trump suit la tradition américaine qui consiste à utiliser l’arme économique à des fins politiques", juge Pascal de Lima.
Scénario du pire pour Pékin
La constitution d’un axe américano-européen serait le scénario du pire pour Pékin, selon Jean-François Dufour. "La Chine est capable d’affronter les États-Unis sur le terrain commercial, en grande partie parce qu’elle peut faire jouer la concurrence avec l’Europe", assure-t-il. Si elle n’avait plus accès aux Boeing américains, elle pourrait toujours se fournir en Airbus européens. Face à un front uni, l’économie chinoise aurait bien du mal "à se procurer certains produits [notamment les équipements électroniques, les machines électriques ou encore les appareils médicaux] dont elle a besoin pour nourrir sa croissance", estime l’expert français.
C’est pourquoi Pékin se fait fort d’apparaître comme l’élément modéré de cette guerre commerciale en gestation. Les autorités chinoises "ont besoin que le reste du monde voie les États-Unis dans le rôle du méchant qui menace le commerce international pour ses seuls intérêts", analyse Jean-François Dufour. Ainsi, la liste des 128 produits concernés par d’éventuels tarifs chinois sur les importations, publiée jeudi 23 mars, ne concernent que des exportations américaines de seconde zone, comme le vin ou les fruits frais. Une manière d’apparaître plus mesuré que Donald Trump, qui a dégainé la grosse artillerie avec de taxes qui concernent 60 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les États-Unis. Pékin a aussi déclaré vouloir passer par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour résoudre le conflit, donnant l’impression de préférer l’option multilatérale aux sanctions décidées de manière unilatérale.
Au final, ce sont donc les Européens qui vont jouer les arbitres. Ils ont le choix entre suivre leur allié historique, les États-Unis, au risque de déclencher une guerre commerciale de grande ampleur, ou ne rien faire et, potentiellement, faire le jeu de la Chine, une puissance économique dont ils continuent à se méfier. Pour l’heure, l’Europe semble plus que réticent e à suivre Trump dans sa campagne antichinoise. Ainsi la chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré "n'avoir aucune envie de tomber dans la spirale d'un conflit commercial qui serait néfaste pour tous".