Les élections générales en Italie, qui se tiendront le 4 mars, apparaissent particulièrement ouvertes. C'est notamment le cas à Sienne, ville historiquement de gauche, où le ministre des Finances n'est pas assuré de l'emporter face à la droite.
Nichée au cœur d’une région ayant voté communiste durant des décennies mais aujourd’hui dirigée par le centre-gauche, Sienne devrait, sur le papier, offrir lors des élections générales du 4 mars un siège garanti au Parti démocrate (PD) actuellement au pouvoir en Italie. Problème : les malheurs ces dernières années de la Monte dei Paschi di Siena (MPS), une banque dont l’histoire est intimement liée à la ville et au pouvoir politique local, ont fragilisé la position du PD et permis à la coalition de droite d’espérer ravir un siège encore jugé imprenable il y a peu.
Fondée en 1472, la MPS est la plus ancienne banque du monde toujours en activité et fait la fierté des 56 000 habitants de Sienne. Héritage du prestigieux passé de la ville, lorsque les banquiers toscans amassaient l’argent de toute la chrétienté, la MPS a longtemps œuvré comme un mécène bienveillant. Mais celle-ci a traversé une zone de turbulences entre fin 2007, date du rachat d’une banque concurrente pour près de 10 milliards d’euros, et début 2017, lorsque l’État italien a recapitalisé la MPS en y injectant plus de 6 milliards d’euros pour détenir environ 70 % de son capital. Longtemps inimaginable, la faillite de cette institution si chère aux Siennois fut alors évitée de justesse.
Un an après, les électeurs n’ont toujours pas digéré cet épisode et en veulent aux responsables politiques. Pour faire face à ce mécontentement, le Parti démocrate s’est donc choisi comme candidat dans la circonscription de Sienne l’homme en charge du sauvetage de la banque : le ministre des Finances Pier Carlo Padoan.
"Pour le Parti démocrate, la candidature de Padoan est une façon de dire aux électeurs : 'Voici l’homme qui vous a donné 6 milliards d’euros pour maintenir votre banque en vie'", explique Andrea Greco, journaliste au quotidien italien La Repubblica, qui a suivi ces dix dernières années toutes les étapes de la chute, puis du sauvetage de la Monte dei Paschi, troisième plus gros établissement de crédit dans le pays.
Padoan, un ancien du FMI et de l'OCDE
Cette nationalisation partielle a été accueillie avec soulagement à Sienne et a notamment permis de maintenir la banque dans son siège historique du Palazzo Salimbeni, souligne Andrea Greco. Le ministre des Finances désormais candidat est par ailleurs considéré comme compétent et, après avoir occupé des postes importants au Fonds monétaire international (FMI) et à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), jouit d’une bonne image à l’étranger.
Mais, à 68 ans, Pier Carlo Padoan a deux défauts majeurs : il s’est d’abord vu affubler de l’étiquette du "foresto", comme disent les Toscans pour parler d’une personne qui ne vient pas de la région ; et il rappelle constamment aux habitants de Sienne que les décisions concernant la MPS sont désormais prises à Rome. "Padoan a peut-être sauvé la banque, mais en réalité, Sienne l’a perdue", estime Maurizio Cotta, professeur de sciences politiques à l’université locale.
Dans le quartier médiéval de l’Aigle, les porte-drapeaux qui participeront l’été prochain au Palio, une célèbre course de chevaux qui attire chaque année des spectateurs venus du monde entier, répètent déjà leurs chorégraphies. Les élections générales du 4 mars ne les enthousiasment guère, mais tous iront voter. "C’est important d’y aller, ne serait-ce que pour ne pas donner le moindre vote à ceux qui ont coupé la branche sur laquelle nous étions assis", estime leur entraîneur, en référence au scandale de la Monte dei Paschi.
Flag-wavers out practising in Siena's Contrada of the Eagle pic.twitter.com/s3VaBUkhAU
bendodman (@bendodman) 25 février 2018La gauche accusée d'avoir utilisé la MPS "comme sa machine à cash"
Dans son viseur : les politiques de centre-gauche qui se sont succédés aux postes-clés de la région et qui ont, avec la MPS, développé le clientélisme. Leur gestion des affaires a longtemps été appréciée par des habitants qui profitaient de la vitalité économique de la ville et de sa qualité de vie, mais le déclin de la banque et ses conséquences pour Sienne et ses environs ont mis à mal ces petits arrangements.
"D’un côté, Padoan est le symbole du sauvetage de la MPS, mais de l’autre, il faut bien reconnaître que ce sont des dirigeants fortement liés à la gauche qui sont responsables de sa chute", affirme Giuseppe Silvestri, du journal local Corriere di Siena.
Un sentiment nettement partagé chez les électeurs. Aimore Piazzi, un ancien employé de la mairie qui possède désormais une boutique de vins à Sienne, regrette ainsi que la ville ait longtemps compté sur "l’argent facile" de la MPS. "Chaque fois que nous organisions quelque chose, l’argent n’était jamais un problème parce qu’on se disait toujours que la Monte allait payer. La banque nous donnait 100 millions d’euros par an, mais nous n’avons fait aucun investissement et nous nous retrouvons aujourd’hui avec un tissu économique obsolète. Des magasins comme le mien ne sont pas viables."
Même son de cloche à la Bottega di Solimano, une boucherie du centre-ville, où le propriétaire accuse les élus d’avoir utilisé la MPS "comme leur machine à cash". Et à l'image de nombreux habitants de Sienne, ce boucher de 65 ans en veut aux gens de l’extérieur, aux "foresti", d’avoir terni ce qui était autrefois "une banque modèle". Son regard vise en particulier Giuseppe Mussari, un ancien PDG de la Monte dei Paschi originaire de la Calabre, dans le sud, et responsable du fameux rachat en 2007 de la Banca Antonveneta, à l’origine du déclin de la MPS.
Un candidat nostalgique de la lire italienne
Des arguments que ne manque pas d’utiliser Claudio Borghi, principal adversaire de Pier Carlo Padoan à Sienne et candidat de la coalition entre la Ligue du Nord – son parti d’origine –, le parti de Silvio Berlusconi Forza Italia et les Frères d’Italie, un parti nationaliste nostalgique du fascisme.
"La Monte dei Paschi a survécu aux guerres, aux épidémies de peste et aux famines, mais le Parti démocrate a su trouver une façon de la détruire", se moque-t-il lors d’une interview téléphonique avec France 24, qualifiant le sauvetage de la banque de "tardif et mal conçu".
Selon lui, ce sont les directives européennes qui ont fragilisé le secteur bancaire italien, et en particulier la Monte dei Paschi. Le candidat de la Ligue du Nord, un nostalgique de la lire, l’ancienne monnaie italienne, accuse notamment son rival et actuel ministre des Finances d’être totalement soumis à Bruxelles quand "d’autres, comme la France et l’Allemagne, ont profité de la situation pour soutenir leurs propres établissements de crédits".
Sa candidature profite également de l’impact grandissant du débat sur l’immigration. Une série d’incidents médiatiques, dont le plus marquant a été la fusillade contre plusieurs hommes d'origine africaine perpétrée début février par un activiste d’extrême-droite, a fait de la crise migratoire l’un des principaux sujets de la campagne électorale. Un contexte idéal pour permettre au discours du leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, de prospérer. Or, en cas de victoire de l’union des droites, et en raison de l’inéligibilité de Silvio Berlusconi, Salvini a déjà promis de nommer, une fois devenu Premier ministre, Claudio Borghi au poste de ministre des Finances… en remplacement de Pier Carlo Padoan.
Adapté de l'anglais par Romain Brunet. Cliquez ici pour lire l'original.