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Les petits commerces menacés par l'effet domino

Envoyée spéciale à Detroit, États-Unis – La crise du secteur automobile, véritable poumon économique du Michigan, entraîne des répercussions sur les petits commerces. Les salons de coiffure, les restaurants et même les cabinets médicaux craignent pour leur avenir.

La salle d’attente du cabinet dentaire de Najwa Shaja est déserte. La dentiste possède deux cabinets près d’Oak Walk, dans la banlieue ouest de Detroit, qui sont situés à quelques kilomètres de deux usines de General Motors et de Chrysler. Le constat est le même : en un an, elle a perdu 30 % de sa clientèle dans chaque cabinet.

Un peu plus au sud, à Wayne, petite ville située à proximité de Detroit où sont implantées deux usines Ford, le salon de coiffure de Jamie Wyse ne compte guère davantage de clients. La responsable a vu sa clientèle diminuer à vue d’œil. "Même le maire nous a dit que le budget de la ville rétrécissait et que des postes municipaux - pompiers, policiers, postiers - étaient menacés", indique-t-elle.

La sociologue Kristin Seefeldt, du Centre national de la pauvreté pour l’Université de Michigan, parle d’un effet domino. "L’économie du Michigan a plus de difficultés que le reste du pays car il dépend beaucoup de l’industrie automobile", explique-t-elle. Selon les économistes, 81 000 postes ont été supprimés cette année dans le Michigan, tous secteurs confondus.

Deux millions de personnes sous le seuil de pauvreté

"Le problème, c’est que si la crise continue, les salariés des petits commerces vont soit être licenciés, soit voir leur salaire diminuer, poursuit Kristin Seefeldt. Beaucoup de personnes pourraient alors passer sous le seuil de pauvreté". Aujourd’hui, l’Etat du Michigan dénombre déjà deux millions d’individus dans ce cas.

De son côté, Najwa Shaja s’inquiète pour la santé des plus démunis. "Les gens qui perdent leur boulot ne cherche plus à se soigner quand ils n'ont plus assez d'argent", s’alarme-t-elle.

Dans le centre-ville de Detroit, la situation économique n’est pas plus attrayante. Alors que le salon automobile de Genève organisée en mars prochain affiche d’ores et déjà complet, celui de Detroit, prévu en janvier, voit les constructeurs se désister un à un : Ferrari, Rolls-Royce, Land Rover, Nissan, Mitsubishi, Suzuki... La liste s’allonge chaque jour un peu plus.

Capitale de l’automobile, Detroit perd peu à peu de son aura et craint de pâtir d’un manque à gagner important dans le secteur hôtelier et de la restauration. Les restaurants ne cachent pas que si la fin des "Big Three" est annoncée, leur commerce n’a aucune chance de survivre.

"Si les ‘Big Three’ ferment, c’est la mort de Wayne"

"Si les ‘Big Three’ ferment, c’est la mort de Wayne [ville de 20 000 habitants], prédit, de son côté Jamie Wyse. Et le pire, c’est que pendant ce temps-là, les PDG se permettent d’aller en jet privé à Washington [en novembre, les dirigeants des trois groupes se sont rendus dans la capitale américaine pour y solliciter une aide financière de l’Etat]. Ils ne craignent rien, ils ont des stock-options et plein d’argent. Mais qui va payer les pots cassés ? C’est nous !"

Selon le Center for Automotive Research (CAR, organisation à but non lucratif), si les trois grands constructeurs de Detroit faisaient faillite, trois millions de postes seraient supprimés dans tout le pays. Les économistes de l’Université du Michigan estiment que l’État va encore vivre des heures sombres. Selon leurs prévisions, 108 000 emplois devraient disparaître en 2009 et 24 000 en 2010, tous secteurs confondus. Une modeste hausse, disent-ils, pourrait se profiler courant 2011.

"L’Etat a mis longtemps à diversifier son économie"

Le Michigan, qui a déjà perdu 200 000 postes d’ouvriers cette décennie, selon un centre de sondages, a pris conscience, il y a quelques années seulement, de l’urgence de se tourner vers d’autres secteurs. "L’État, manufacturier à la base, a mis longtemps à diversifier son économie", commente la chercheuse au Centre national de la pauvreté à l’Université du Michigan.

Alors que l'industrie automobile supprime des emplois en nombre, d’autres secteurs en ont créés. Sur les cinq dernières années, 298 des 1 060 industries du Michigan ont embauché, pour la plupart dans l’éducation et les services de santé. Ces nouveaux postes n’offrent toutefois pas des salaires aussi alléchants que dans le secteur automobile.

"J’aime à penser que le Michigan s’en sortira aussi avec de nouvelles industries, comme les technologies vertes dont le gouverneur [Jennifer Granholm] parle beaucoup", conclut Kristin Seefeldt.