La nomination de "Get Out" dans la catégorie de "meilleur film" aux Oscars 2018 fait figure d’exception. En bientôt 100 ans d’existence, seuls six films d’horreur ont accédé à cette catégorie reine où les œuvres de genre sont rarement les bienvenues.
En 1992, "Le Silence des agneaux" de Jonathan Demme remportait cinq Oscars pour le "meilleur film", le "meilleur réalisateur", le "meilleur acteur", la "meilleur actrice" et le "meilleur scénario". Une exception dans l’histoire des Oscars. Depuis la création de la cérémonie en 1929, "Le Silences des agneaux" est le seul et unique film d’horreur à avoir remporté la prestigieuse statuette dorée à ce jour. En fait "Get Out", sélectionné cette année, n’est que le sixième film du genre (parfois plus proche du thriller) à concourir dans la catégorie reine – après "L’Exorciste", "Les Dents de la Mer", "Le Silence des agneaux" donc, "Le Sixième Sens" et "Black Swan".
L’horreur confinée dans les catégories techniques
Bien sûr, "il a proportionnellement moins de films d’horreur que de films ‘classiques’ qui sont produits, donc de facto cela se répercute sur les sélections", rappelle Cyril Despontin, directeur du festival international du film fantastique de Paris (PIFFF), à Mashable FR. Mais cela n’explique pas tout. Force est de constater que les longs-métrages horrifiques sont bien là aux Oscars, mais confinés dans les catégories techniques dites mineures de "meilleurs décors", "meilleur création de costumes" ou "meilleurs effets visuels".
"Le cinéma d’horreur est moins respectable, les films sont moins consensuels et plus radicaux, ce qui fait qu’il n’a pas forcément les faveurs d’un plus large public", explique Cyril Despontin, "et il est souvent un peu méprisé par les hautes instances". Entendez par là les membres de l’Académie des Oscars, qui votent pour élire les lauréats, et à qui on reproche depuis longtemps leur manque de diversité en terme d’origine ethnique, de sexe, d’âge et donc aussi de goût. Des films pourtant devenus des références du genre comme "Psychose", "Alien", "Massacre à la tronçonneuse", "The Shining" ou la saga de Romero ont ainsi été boudés par l’Académie sans doute pour leur côté trop subversif.
"On assimile assez rapidement l'horreur à une forme puérile et impure du cinéma"
"Pour les membres de l’Académie, en général, le cinéma de genre serait un genre de films purement divertissant et sans aucune dimension politique ou intellectuelle possible", analyse pour Mashable FR Valentin Guermond, docteur en études cinématographiques qui s’intéresse plus particulièrement au cinéma fantastique. "Finalement, on nie un peu le fait qu’un film de genre puisse raconter quelque chose, qu’il puisse mettre en image des histoires universelles comme peuvent le faire le mélodrame, le drame ou le film de guerre. On le retranche dans un ghetto et on l’assimile assez rapidement à une forme puérile et impure du cinéma. Pendant longtemps, il y a eu confusion entre le cinéma d’horreur et la série B. Ainsi un film de genre s’est longtemps défini par son aspect spectaculaire, ses effets spéciaux baroques ou sa violence grand-guignolesque auxquels on réservait donc ces catégories techniques. Mais l’idée qu’il puisse y avoir un scénariste ou un réalisateur derrière ces ‘attractions foraines’ était inimaginable", poursuit le chercheur.
Certains pourront avancer que le "Get Out" de Jordan Peele n’est pas un pur film d’horreur, plutôt à la croisée des genres entre l’horreur et la satire sociale sur le racisme latent aux États-Unis, mais sa société de production Blumhouse est bien une référence du domaine. Et la nomination de ce long-métrage dans la catégorie reine de l’édition 2018 est la preuve que les lignes bougent aux Oscars. Peut-être est-ce là l’un des signes conséquentiels des réformes de recrutement des membres de l’Académie, vers plus de diversité. À moins qu’il ne s’agisse simplement d’une réponse à l’énorme box-office mondial de "Get Out".
Et si ce n’était pas un mal ?
Mais si l’on s’émeut aujourd’hui du manque évident de films d’horreur au palmarès des 89 cérémonies passées des Oscars, la sous-représentation du genre dans ce "lieu régi par les conventions et les bienséances" n’est pas forcément une mauvaise chose, avance Valentin Guermond : "Le cinéma d’horreur étant lié aux thèmes de la révolte, de la transgression, de l’altérité, il est clair qu’il n’a guère sa place aux Oscars. Pour les créateurs d’un film d’horreur comme pour ses spectateurs, une récompense dans un festival spécialisé à Sitges, à Toronto ou à Gérardmer vaut bien tous les Oscars du monde." Et il a en va de même pour la popularité d’un film au box-office : "Un film d’horreur qui fait la une des médias et connaît un succès important peut faire peur aux fans, qui peuvent y voir le signe d’un film qui rassemble, qui cherche le consensus, ce qui serait contraire en quelques sortes au but d’un film d’horreur."
Bon, finalement on ne sait plus trop si on doit souhaiter à Jordan Peele et son équipe de remporter l’Oscar du meilleur film avec "Get Out" du coup.
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