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À vendre : "Le Comte de Belamy", portrait classique créé par une intelligence artificielle non-assistée par l’Homme

Nom de l'artiste : \min_G \max_D \mathbb{E}_{x\sim p_{data}(x)} [\log D(x))] + \mathbb{E}_{z\sim p_z(z)} [\log(1-D(G(z)))].

"La créativité, ce n’est pas que pour les humains." C’est en tous cas ce qu’affirme Obvious, un collectif français "de chercheurs, d’artistes et d’amis" qui s’est donné pour mission de confronter la créativité humaine – si tant est qu’il en existe bel et bien une –, à celle des machines. Pierre Fautrel, Gauthier Vernier et Hugo Caselles-Dupré, trois copains d’enfance, ont ainsi entraîné pendant plus d’un an une intelligence artificielle à créer son propre tableau de maître. En l’occurrence, un portrait classique, qui a même eu droit à son joli cadre doré à moulures.

Certes, une IA qui façonne elle-même une œuvre n’a rien d’une première. On recense d’ailleurs depuis les années 1950 des œuvres créées de toutes pièces par des machines. Plus récemment, on se souvient de Flow Machines, l’IA de Sony à l’origine de "Daddy’s Car", un morceau composé "façon Beatles", ou encore de cette nouvelle inspirée de l’univers Harry Potter, née des entrailles du deep learning.

Plus proche encore de l’expérimentation d’Obvious, The Next Rembrandt, un projet de création algorithmique d’une toile "à la manière" du génie hollandais, financé par Microsoft et la banque ING en 2015. Afin de réaliser un tableau inédit, les chercheurs avaient analysé plus de 300 œuvres de Rembrandt pour en capturer les moindres détails. Une fois ces informations ingérées un algorithme, une œuvre originale avait pu voir le jour sur la base de 160 000 fragments de travaux de l’artiste. "Mais à chaque fois, il s’agissait de processus de création assistée", explique Pierre Fautrel à Mashable FR. "De personnes qui ont créé de l’art avec de l’IA. Nous, on a façonné une IA qui crée de l’art."

Pas de modèle, pas d'humain

Au-delà de la rhétorique, Obvious est en effet parvenu à obtenir une création picturale dénuée de toute source d’inspiration "précise" (en l’occurrence, d’un artiste ou d’une œuvre en particulier), grâce aux GAN. Les GAN, pour Generative Adversarial Networks, sont des architectures de réseaux neuronaux mises au point en 2014 par Ian Goodfellow et un groupe d’ingénieurs de l’université de Montréal qui fonctionnent sur le principe de l’amélioration par le challenge.

"L’un générait une image d’œuvre, l’autre tentait de déterminer s’il s’agissait d’une œuvre bien réelle ou créée par l’IA"

L’équipe avait constaté qu’en se retrouvant confrontés l’un à l’autre, deux algorithmes étaient capables de "créer" par eux-mêmes, sans intervention humaine, tout un tas de choses : musique, prose, image… À l’époque, Yann LeCun, célèbre chercheur en IA et créateur du hub européen Facebook Artificial Intelligence Research, avait qualifié les GAN "d’idée la plus intéressante de ces dix dernières années en matière de machine learning".

En s’appuyant sur un dataset de 10 000 portraits du XVIe au XIXe siècle, Obvious a donc confronté deux algorithmes, cantonnés à des rôles différents : "L’un générait une image d’œuvre, l’autre tentait de déterminer s’il s’agissait d’une œuvre bien réelle ou créée par l’IA", détaille Gauthier Vernier. "Ils se sont mutuellement entraînés jusqu’à ce que le second ne puisse plus faire la différence entre une toile existante et une toile modelée par l’IA."

Interroger la notion de "créativité"

En utilisant les GAN pour créer un tableau bien concret, Obvious affirme surtout vouloir réinterroger la place des machines parmi nous. "On voit avant tout le 'Comte de Belamy' comme une sorte de milestone dans l’histoire de l’art, qui marque peut-être l’acceptation de l’intelligence artificielle en tant qu’artiste à part entière. C’est en tout cas l’objet du débat qu’on veut soulever", confie Pierre Fautrel.

Depuis le 6 février, "Le Comte de Belamy" est vente sur eBay. "Le mettre en vente comme une œuvre à part entière fait partie intégrante de la démarche." Avec l’argent récolté, le collectif espère pouvoir poursuivre ses recherches, en finançant notamment du matériel informatique – coûteux pour ce type de travaux – et éventuellement des locaux dédiés. Enchère de départ : 10 000 euros. En espérant que leur IA devienne un jour un grand maître du XXIe siècle.

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