logo

Les incendies à répétition brisent "l'omerta" corse

Face aux incendies qui ont ravagé des forêts plusieurs fois centenaires, les Corses brisent la loi du silence tacite qui régit l'île en dénonçant des incendiaires présumés. En dix jours, huit incendiaires présumés ont été arrêtés.

AFP - Les incendies à répétition qui touchent la Corse depuis début juillet, ont provoqué un électrochoc inattendu dans la population qui, ces derniers jours, a sérieusement mis à mal la sacro-sainte "omerta", la loi du silence.

Exaspérés par les feux, las et furieux de voir réduites en cendres des forêts plusieurs fois centenaires qui font leur fierté, les habitants se sont affranchis des règles tacites de discrétion en vigueur dans l'île. Sans états d'âmes, ils ont signalé aux gendarmes les véhicules jugés suspects ou, dans certains cas, les mises à feu dont ils venaient d'être les témoins.

La démarche a commencé à payer: en une dizaine de jours, huit incendiaires présumés ont été arrêtés dans les deux départements de l'île, du jamais vu en trente ans, selon le président de l'association des maires de Haute-Corse, Ange-Pierre Vivoni.

"Une bonne partie des interpellations opérées a bénéficié de ces renseignements", a dit à l'AFP le procureur général, Paul Michel, en rappelant que "témoigner est un devoir civique".

"Sans l'implication de la population et les +signalements+ très précis qui ont été fournis, nous n'aurions pas pu mener à bien ces arrestations", a confirmé un enquêteur.

Premier à réagir, Pierre Guidoni, maire de Calenzana (Haute-Corse), s'est constitué partie civile la semaine dernière contre deux incendiaires présumés incarcérés en attendant leur jugement. L'un d'eux, un de ses employés municipaux, a reconnu avoir allumé des feux avec des bâtons d'encens.

La démarche du maire a été saluée dans toute l'île. Mais à Calenzana, "certains de mes administrés - des agités du bocal -, m'ont accusé de me prendre pour +Sarko+ et m'ont critiqué, sur le mode +il est plus facile de parler que de se taire!+", a raconté le maire à l'AFP.

"J'ai juste fait mon boulot. J'attends maintenant de voir comment réagissent les maires des villages touchés par les feux", a-t-il ajouté.

"A un moment donné, le courage, ce n'est pas le silence, c'est précisément prendre la parole pour dire +non+", a affirmé à l'AFP le président UMP de l'Assemblée de Corse et député de Corse-du-Sud Camille de Rocca Serra. "C'est la première fois qu'un élu fait une telle démarche", dit-il.

Dans le sillage du maire de Calenzana, le président UMP de l'exécutif corse, Ange Santini, a à son tour annoncé porter plainte contre X pour destruction de biens publics. L'Office de l'environnement de la Corse s'est porté partie civile "pour obtenir réparation".

Le député-maire socialiste d'Ajaccio, Simon Renucci, a été le premier à relever publiquement le changement de mentalité de ses concitoyens, dans une lettre ouverte adressée au président de la République, à la suite des incendies survenus dans la périphérie d'Ajaccio.

"Les Corses ont changé, ils dénoncent les violences faites à leur île et protègent leur patrimoine naturel et humain. Ils n'acceptent pas que la Corse reste la même, avec son cortège de meurtres non élucidés" --15 par armes à feu depuis janvier-- "et d'incendies impunis", écrit-il.

Enquêteurs et magistrats saluent cet "esprit civique en progrès" mais se demandent si ces bonnes dispositions s'appliqueront aussi aux crimes de sang, dont, proportionnellement à sa population, la Corse détient le record de France.

"Récemment, a raconté à l'AFP un magistrat, un habitant de Corse-du-Sud a été tué dans un bistro où étaient attablés de nombreux consommateurs. Quand les gendarmes sont arrivés, ils ont trouvé une bonne douzaine de verres sur les tables... mais plus personne devant".

Tags: Corse, Incendie, France,