En péril de mort dans la partie pakistanaise de l'Himalaya, la Française Élisabeth Revol a été sauvée dimanche grâce à une ascension extraordinaire menée de nuit par deux alpinistes chevronnés appuyés par l'armée pakistanaise.
Une "sacrée aventure", et puis le drame. Depuis sa chambre d'hôpital de Sallanches, en Haute-Savoie, l'alpiniste Élisabeth Revol a détaillé à l'AFP jeudi 1er février sa conquête du 9e plus haut sommet du monde dans l'Himalaya, dont son compagnon de cordée polonais, Tomasz Mackiewicz, n'est pas rentré. E lle-même soignée pour des gelures graves aux deux mains et au pied gauche, l'alpiniste relate sobrement, techniquement, son ascension du Nanga Parbat (8 126 mètres) au Pakistan - une première pour une femme en hiver, sans oxygène ni sherpa.
"C'était ma 4e tentative hivernale, la 7e pour Tomek et la 3e ensemble", détaille la rescapée. En "himalayistes" expérimentés, ils affrontaient de nouveau cette montagne dite "tueuse" sans appréhension, malgré les risques "que l'on accepte". Partie de France le 15 décembre, Élisabeth Revol s'était engagée le 20 janvier, encordée avec ce "passionné" de Polonais "en communion avec la montagne", dont elle parle encore au présent.
Quelques jours plus tard, à plus de 7 000 mètres d'altitude, ils touchent au but. "On était bien à ce moment-là", confie-t-elle, les yeux pétillants. Ils tâtonnent pourtant dans "le cheminement compliqué" de la pyramide sommitale. À 17 h 1 5, un peu en retard, ils hésitent mais l'envie l'emporte : 45 minutes plus tard, c'est gagné.
"La fuite vers le bas"
Mais le plaisir est de courte durée. "Là Tomek me dit 'je ne vois plus rien'. Il n'avait pas utilisé de masque car il y avait un petit voile pendant la journée et à la tombée de la nuit, il a eu une ophtalmie (inflammation de l'oeil, NDLR). On n'a pas pris une seconde au sommet. C'était la fuite vers le bas". Tomek s'accroche à une de ses épaules et tous deux entament une "descente très longue" en terrain plus que difficile, de nuit.
" À un moment, il n'arrivait plus à respirer, il a enlevé la protection qu'il avait devant la bouche et a commencé à geler. Son nez devenait blanc et puis après les mains, les pieds", détaille celle qui envoie alors un message de détresse. Au bas d'une cuvette, ils se mettent à l'abri du vent, mordant, dans une crevasse. Tomek n'a plus la force de remonter au camp. Au lever du jour, la situation est dramatique : "Il avait du sang qui coulait en permanence de sa bouche". Des signes d'œdèmes, d'après les médecins consultés a posteriori, stade ultime du mal aigu des montagnes, fatal si le blessé n'est pas soigné dans les plus bref délais. "J'ai alerté un peu tout le monde, parce que Tomek ne pouvait pas redescendre tout seul", poursuit "Eli".
Des messages sont échangés pour organiser les secours. Dont certains se sont perdus dans l'immensité himalayenne, suscitant des incompréhensions. "On m'a dit : 'si tu descends à 6 000 mètres, on peut te récupérer et on peut récupérer Tomek à 7 200 mètres' (en hélicoptère, NDLR). Ça s'est fait comme ça. Ce n'est pas une décision que j'ai choisie, mais qui m'a été imposée".
À Tomek qu'elle quitte alors, elle dit simplement : "Écoute, les hélicos arrivent en fin d'après-midi, moi je suis obligée de descendre, ils vont venir te récupérer". Elle envoie le point GPS de sa position, protège son ami tant bien que mal et, persuadée d'une issue heureuse, part "sans rien prendre, ni tente, ni duvet, rien". "Parce que les hélicos arrivaient en fin d'après-midi", ressasse-t-elle. Mais ils ne sont pas arrivés.
Hallucinations
C'est donc une seconde nuit dehors, "sans équipement" comme Tomek dans sa crevasse. "Je savais que j'allais m'en sortir, j'étais dans mon trou, je grelotais de froid mais je n'étais pas dans une position désespérée. J'avais plus peur pour Tomek, beaucoup plus affaibli".
L'altitude lui provoque alors une hallucination - elle y avait toujours échappé jusqu'alors. Elle imagine qu'on vient lui porter "du thé chaud" et que pour "remercier, il faut donner une chaussure". Elle passe le pied à l'air pendant 5 heures. C'est la gelure. Quand le jour revient, elle compte toujours sur les secours. Posée à 6 800 mètres, Élisabeth décide de ne pas bouger, pour "se préserver, emmagasiner de la chaleur". Elle entend une rotation d'hélicoptère en bas du glacier "mais il était déjà trop tard, le vent se levait".
Quand elle apprend que l'hélicoptère ne pourra venir que le lendemain, et qu'elle va devoir passer une troisième nuit dehors, elle choisit de descendre. "Ça commençait à être une question de survie", dit la jeune femme, qui n'avait pas reçu le texto lui annonçant que deux alpinistes polonais partaient à sa rencontre.
Elle décrit une descente prudente, "calme", malgré des "gants humides", le "froid vif" qui gèle ses doigts et la "douleur" dès qu'elle tient une des cordes fixes de l'itinéraire. Vers 3 h 30 du matin, elle atteint le camp 2 vers 6 300 mètres. "J'ai vu deux frontales dans la nuit. Je me suis mise à hurler et je me suis dit : 'c'est bon'", ajoute l'alpiniste dont la voix se brise dans un sanglot.
"Ça a été une grosse émotion", admet cette grande pudique. D'autant que ses deux sauveteurs sont Adam Bielecki, qu'elle connaît - ils avaient un projet d'ascension dans l'Everest - et Denis Urubko, sa légende sur les 8 000 mètres. Ils ont été acheminés par hélicoptère depuis le camp de base d'un autre géant situé non loin, le K2 (8 611 m).
Les sauveteurs n'ont pas été en mesure d'atteindre Tomek, resté bloqué plus haut sur la montagne, et ont dû prendre la "décision terrible et douloureuse" de le laisser là. La liste de quelque 70 morts de cette montagne s'est encore allongée.
Ensuite Élisabeth Revol a été évacuée dimanche vers Islamabad, puis elle est rentrée en France mardi soir. L'avenir, elle l'aborde au jour le jour. "Récupérer au maximum", éviter peut-être l'amputation, et surtout "aller voir les enfants" de Tomek.
Repartir en montagne ? Sous le regard complice de son mari Jean-Christophe, l'enseignante drômoise reconnaît qu'elle a "besoin de ça". "C'est tellement beau".
Avec AFP