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Un street artiste transforme le mur entre les États-Unis et le Mexique en œuvre d'art

À l'initiative de l'artiste mexicain Enrique Chiu, un collectif a entrepris de battre le record du monde de la plus grande fresque murale en transformant le mur frontalier entre San Diego, aux États-Unis, et Tijuana, au Mexique, en œuvre d'art.

Quand Donald Trump a promis durant sa campagne de construire un "grand et beau mur", ce n'était sans doute pas ce qu'il avait en tête. Depuis 2017, un artiste mexicain, Enrique Chiu, subvertit l'idée d'un mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique en le transformant en support artistique. Son objectif : la création collective de la plus grande fresque murale au monde.

La création de ce "mur de la fraternité", Enrique Chiu l'a commencée près de chez lui, à Tijuana, dès 2013. À cette extrémité ouest de la frontière, le rêve de Trump est déjà réalité : il a été construit dès 1994 par l'administration Clinton à l'occasion de l'opération Gatekeeper.

Ce mur frontalier, Enrique Chiu le trouvait moche et mal-entretenu. "Je voulais simplement l'embellir", se souvient l'artiste de 36 ans, interrogé par France 24. "Puis, chaque année, une association me demandait de venir peindre une section du mur pour promouvoir une image positive de l'immigration : les Border's Angel, les mères des Dreamers… En 2016, l'idée est devenue virale et, devant l'avalanche de messages, j'ai décidé de me lancer dans ce grand projet."

Aujourd'hui, Enrique Chiu et ses soutiens ont déjà peint une section de 2 000 mètres de long et de 6 mètres de haut entre Tijuana et San Diego. Mais aussi 500 autres mètres à Tecateet à Mexicali, deux autres villes frontières. Ils se rapprochent doucement du record détenu par la fresque de Pueblo Levee, dans le Colorado, longue de 3,2 kilomètres de long.

Si Enrique Chiu est si sensible à la question de la frontière, c'est que l'artiste mexicain en a lui-même fait l'expérience. À l'âge de 8 ans, ce natif de Guadalajara l'a franchie une première fois avec sa mère, illégalement, pour vivre à Los Angeles durant un an. Plus tard, il est parti vivre à Long Beach, en Californie, grâce à un visa d'étudiants des beaux-arts. C'est en 2008 qu'il est revenu vivre à Tijuana à quelques encablures du mur.

"Cette fresque, elle doit envoyer un message en faveur de l'immigration et de l'ouverture des frontières. Elle doit montrer ce qui se passe de beau dans notre pays", explique l'artiste de 36 ans. "Elle doit revêtir une signification pour tous les Mexicains et tous les Latinos qui arrivent à la frontière plein de rêves."

L'œuvre est collaborative. Enrique Chiu propose à chacun d'apporter son pinceau à l'édifice pour compléter la fresque. "Plus de 2 730 personnes ont déjà participé à l'œuvre", se félicite le peintre. "Nous voulons que ce mur qui divise deviennent le facteur qui rassemble. C'est pour cela que nous le remplissons de messages, de symboles, de dessins colorés… Que du positif !"

La décoration d'un mur frontalier ne s'improvise pas, surtout quand celui-ci est la propriété du gouvernement fédéral du gouvernement américain. Pour concrétiser son projet, Enrique Chiu a dû demander l'autorisation à l'administration Obam, a ainsi qu'à l'US Border Patrol, les gardes-frontières américains :

"Washington ne m'a jamais répondu mais la Border Patrol a accepté. Mais ils ne m'ont autorisé à peindre le côté mexicain", regrette l'artiste.

Si l'idée de la fresque est antérieure à la présidence à Donald Trump, elle a aujourd'hui été rattrapée par l'actualité : elle fait désormais figure de symbole de résistance face à la rhétorique isolationniste et xénophobe déployeé par le président américain envers son voisin du sud.

À l'heure où Donald Trump met en balance le destin des Dreamers, ces millions de jeunes entrés illégalement sur le territoire américain avec leurs parents alors qu'ils étaient mineurs, pour forcer le Congrès à voter la construction du mur frontalier, Enrique Chiu a plusieurs messages à adresser au président américain

"Agir ainsi, c'est jouer avec les sentiments et la vie de personnes qui ont grandi et toujours vécu aux États-Unis, étudiant et travaillant pour gagner le droit à une vie meilleure", dénonce l'artiste. "Son mur est une mesure illogique et raciale qui déplaît à tout le monde dans les zones frontalières. Mais, si c'est le prix à payer pour que nos amis et frères puissent prétendre à une vie meilleure, c'est peut-être un pari que nous devons faire. Mais nous continuerons à nous battre", assure-t-il.

Si Donald Trump construit sa muraille tout au long de la frontière, 3 200 kilomètres de mur seront alors disponibles pour le record de l'artiste mexicain. Sans doute trop gigantesque pour Enrique Chiu qui se fait tout de même une promesse : "Je doute que le mur soit intégralement construit, mais si c'est le cas je veux peindre à chacune des villes frontalières."

Et si peindre les 3 200 kilomètres de frontières semblent trop ambitieux pour le Mexicain, ils espèrent au moins œuvrer à chacune des villes frontières.

"Ce projet a commencé bien avant Trump avec l'idée d'une fraternité entre villes frontalières", rappelle Enrique Chiu. " Nous pouvons arriver à le cacher avec des images et à le faire peu à peu disparaître sous la peinture."