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Ça bouge en mer. Le mouvement pour interdire la pêche électrique en Europe soulage quelque peu les professionnels de la marée, mais certains redoutent qu'il ne s'agisse que d'une accalmie. Parole de poissonnier.

Le Parlement européen s'est prononcé mardi 16 janvier en faveur l'interdiction totale de la pêche électrique, une pratique dénoncée par les défenseurs de l’environnement, mais également par les artisans pêcheurs. Si Bruxelles semble vouloir clarifier la législation sur la pêche en Europe, certains professionnels n'en sont pas moins inquiets sur l'avenir de leur métier.

Fin de la pêche électrique, et après ?

À 2 h 30 du matin, péage passé, le camion de Pascal Da Costa entre dans le MIN de Rungis, le Marché d'intérêt national qui fournit toute la région parisienne en produits frais. Ce poissonnier de 46 ans est à son compte depuis 2005. Le poisson, il est tombé dedans à 17 ans et a appris à le connaître et à l’aimer. Pour lui, venir à Rungis, c’est toujours un plaisir : "Tu as l’impression d’être à une criée à 500 mètres du port et t’es à Paris". Ici, la fin de la pêche électrique ne provoque pas trop de remous dans la grande halle aux poissons. "Pas de ça chez nous" affirme Michel, vendeur chez Demarne, l'un des trente grossistes encore présents à Rungis.

Autorisée sous conditions depuis 2007 en mer du Nord, la pêche électrique n’est plus pratiquée en France, ni en Angleterre, contrairement aux Pays-Bas, où environ un tiers de la flotte néerlandaise serait équipée de chaluts électriques, selon l’ONG Bloom. Les pêcheurs néerlandais qui la pratiquent disent que c’est une pêche innovante, qui permet d’augmenter considérablement les prises. Pour Franck, de la maison Mas, "ils détruisent tous les fonds, les poissons sont brûlés et ils ne sont pas bons". Il assure qu'il ne se fournit que chez des pêcheurs traditionnels opposés à l'utilisation d'électrodes qui provoquent des convulsions chez les poissons plats (soles, limandes…) enfouis dans le sable. Pascal Da Costa confirme : "Le poisson péché à l’électrique, on le reconnaît, et nous poissonniers, on n’en achète pas car c’est une marchandise abîmée et invendable".

Parlement européen : fin de la pêche électrique

Les députés ont adopté de nouvelles règles de pêche et demandent d’interdire la pêche électrique https://t.co/Bhl3OQeqlU pic.twitter.com/MXc5w5QfXL

  Parlement européen (@Europarl_FR) 16 janvier 2018

Cette technique de pêche a bouleversé l’équilibre entre pêche traditionnelle et industrielle, et un cercle vicieux s’est installé : "La quantité de poisson baisse, la demande augmente, alors les gros pêcheurs vont de plus en plus loin pour trouver du poisson. Leurs bateaux évoluent et leurs techniques de pêche aussi", explique le poissonnier. Les chalutiers sortent plus longtemps et les coûts se répercutent sur les prix d’achat. À Rungis aujourd'hui, la marchandise proposée est loin des quantités d’il y a une dizaine d’années. Certes, les espèces sont protégées, mais les quotas et règles imposés contribuent "à pêcher moins et donc à l’augmentation inéluctable du prix du poisson".

Des règles simplifiées mais "tout le monde doit jouer le jeu"

L’Union européenne est le troisième producteur mondial de produits de la mer et sa politique vise un double objectif : gérer la flotte de pêche européenne et préserver les stocks de poissons. Pour Pascal Da Costa, c’est une bonne chose, mais "tout le monde doit jouer le jeu", citant l’exemple de la coquille Saint-Jacques. Sa pêche est autorisée en France d’octobre à avril. "Quand c'est fini, les Anglais qui viennent pêcher chez nous et on se retrouve à acheter de la coquille française pêchée par des Anglais". Même sort pour la sardine, dont le quota ne semble pas être respecté par les Espagnols. "Pourquoi ils le font ? Ils passent entre les mailles du filet  ? ", s’étonne le poissonier, qui perd confiance dans l’application des normes européennes.

Nicolas Hulot : une pêche éco responsable

La France souhaite que les pratiques de pêche européennes restent 1 modèle de référence respectueux des ressources naturelles & environnement. Nous saluons le vote du parlement européen en faveur de l’interdiction de la #pêcheélectrique, pratique dangereuse pour la #biodiversité pic.twitter.com/FicM8D5DtV

  Nicolas Hulot (@N_Hulot) 16 janvier 2018

Pourtant, Bruxelles a décidé de simplifier la trentaine de règlements sur les mesures techniques qui constituent la politique commune de la pêche (PCP). Pas de nouvelles règles, mais une réécriture pour faciliter l’application de cette politique sur la façon, le lieu et le moment où les poissons peuvent être capturés. Ainsi, le système de quotas de pêche est complété par d’autres mesures, comme le nombre limité de jours en mer pour les chaluts. Des mesures techniques sont également définies plus clairement : taille des mailles des filets, fermeture temporaire de certaines zones de pêche, définition de tailles minimales de capture en dessous desquelles il est interdit de débarquer les espèces… tout en accordant une plus grande flexibilité régionale des captures des poissons juvéniles. Tout cela sous la surveillance des États membres et tout au long de la chaîne. Certains collègues de Pascal Da Costa ont été contrôlés : "Ils vérifient la taille de ton poisson et si tu es hors-quota, tu es amendable. Mais c'est à toi de faire attention quand tu l'achètes, en général, c'est calibré", explique-t-il, confirmant une auto-régulation du système. Système dans lequel l’Europe souhaite interdire certains engins et méthodes de pêches. Pourtant, il s’inquiète pour la profession dans les années à venir, car "il y a de plus en plus de dérives".

"En bout de chaine c’est toi qui prends"

Dans les allées du pavillon de la marée, à Rungis, le nombre de vendeurs mandatés par les pêcheries diminue. Au fil des ans, la réglementation a eu raison de certains pêcheurs. Alors qu'ils sont quatre fois moins nombreux aujourd'hui, la concurrence entre grossistes est plus faible, et l’entente sur les prix plus grande. En face, difficile pour les acheteurs de négocier. Les petites quantités proposées font flamber les prix et "le poisson est devenu un produit de luxe" pour ce poissonnier, qui a dû tripler certains tarifs. Le constat est amer pour cet indépendant : "En bout de chaîne, c’est toi qui prends. On n'a pas un bel avenir, il y en a de moins en moins de poissonneries. Nous sommes cassés par les grandes surfaces avec leur rayon poisson. Ils ne font aucune marge pour attirer les gens. Souvent, ils proposent des prix que tu ne peux même pas avoir à Rungis". D’un côté, la surpêche fait des dégâts, de l’autre, les centres commerciaux cassent le marché avec leur propre flotte industrielle. Alors Bruxelles, il n’y croit plus.

Il est 4 heures du matin, Pascal Da Costa a rempli son camion. Dans quelques heures, il sera sur le marché pour vendre sa marchandise à des clients qui viennent "acheter un produit de qualité, avant d’acheter un prix".