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Scandale du lait contaminé : Lactalis et son mystérieux PDG dans le viseur

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a pointé du doigt une "entreprise défaillante" dans l’affaire du lait contaminé qui a provoqué une épidémie de salmonellose. Dans son viseur : Lactalis et son très secret PDG, Emmanuel Besnier.

D’un côté un bruit médiatique assourdissant, de l’autre un silence à toute épreuve. À chaque nouvelle crise du lait, c’est la même rengaine : le groupe Lactalis est houspillé, son PDG, Emmanuel Besnier, sommé de s’exprimer, mais le géant français des produits laitiers et roi du Camembert pasteurisé se tait.

Cette fois-ci, il s’agit d’une affaire de santé publique. Une trentaine de nourrissons ont été atteints de salmonellose après avoir été intoxiqués en consommant des produits issus d’une usine de Lactalis. Celle-ci a été fermée pour cause sanitaire, début décembre.

Milliardaire invisible

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a évoqué jeudi 11 janvier une “affaire grave” et pointé du doigt “une entreprise défaillante”, critiquant la manière dont le rappel des produits contaminés a été effectué par Lactalis. Des lots contenant la bactérie avaient, en effet, été vendus dans plusieurs grandes surfaces en janvier, soit après le rappel. Le patron de Bercy avait convoqué tous les acteurs du scandale – grande distribution, et direction de Lactalis – à une réunion au ministère, ce même jour.

Si Emmanuel Besnier se déplace, Bruno Le Maire pourra s’estimer chanceux. Le PDG de Lactalis est réputé pour sa discrétion et son culte du secret. “On ne le voit jamais. Je ne l’ai jamais rencontré, je n’ai pas son portable”, avait dit de lui Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture de 2012 à 2016.

Surnommé “l’homme invisible” ou le “milliardaire secret”, Emmanuel Besnier pointe à la douzième place du classement des grandes fortunes françaises du magazine Capital. Il est à la tête, depuis 2000, du leader mondial des produits laitiers et ses marques sont bien plus connues que lui : Président, Lactel ou encore Bridel ou les camembert Lanquetot et Lepetit. Lui n'accorde pas d’interview à la presse, suit les matches du club de Laval, où Lactalis a son siège social, depuis la seule loge du stade munie de vitres teintées. Il se fait même tellement rare dans les usines du groupe que peu de salariés l’ont vu en personne.

Le géant des panneaux publicitaires JC Decaux a appris à ses dépens à quel point Emmanuel Besnier tenait à rester discret. Le groupe avait cru bon d’installer des panneaux “Félicitations président” à Laval peu après le mariage du patron de Lactalis. Ils ont été arrachés sur ordre de la direction de Lactalis dans les heures qui ont suivi leur apparition, raconte Libération.

Dur en affaires

Ses amis voient dans cette discrétion une sorte d’humilité et un désir de mettre en avant le produit plutôt que l’homme. Ses ennemis considèrent que c’est une posture qui permet à Emmanuel Besnier de ne rendre de compte à personne, qu’il s’agisse des producteurs de lait, de la grande distribution ou encore des pouvoirs publics.

Car Emmanuel Besnier est aussi discret qu’il est impitoyable et efficace en affaires. Il a hérité à 29 ans d’un empire du lait en devenir. Son père, Michel Besnier, avait transformé une florissante entreprise familiale en géant national avec des velléités d’expansion à l’international. Le coup de génie du paternel ? Miser sur la grande distribution et les produits pasteurisés (donc exportables).

Emmanuel Besnier va faire du groupe une puissante multinationale à coup de rachats un peu partout dans le monde. Sa plus belle prise, le géant italien Parmalat en 2011, a aussi été l’occasion de découvrir les comptes de cette entreprise non cotée en Bourse qui n’avait jamais pipé mot sur ses pertes et profits depuis sa création en 1933.

Emmanuel Besnier a beau avoir le regard tourné vers l’étranger, il n’en oublie pas pour autant le marché national… au grand dam des producteurs laitiers. Ils estiment être les vaches à lait du puissant patron et entrent régulièrement en conflit avec Lactalis au sujet des tarifs qui n’en finissent pas de baisser. Emmanuel Besnier ne recule pas non plus devant un bras de fer avec la figure la plus médiatique de la grande distribution et non moins puissant Michel Edouard Leclerc. Le patron de Lactalis a ainsi privé, en 2011, tous les supermarchés E. Leclerc (sauf celui de Laval) de ses produits pour protester contre le refus de répercuter la hausse des prix du lait.

Culte du secret et intransigeance sont les deux mamelles du succès d’Emmanuel Besnier et de Lactalis. Reste à savoir si c’est la bonne stratégie dans une affaire concernant la santé de nourrissons.