En 10 ans, Heinz-Christian Strache a réussi à redonner au parti de la Liberté (FPÖ), la formation d’extrême droite autrichienne, une force de frappe qui lui a permis d'entrer au gouvernement.
Il est l’homme du retour au pouvoir de l’extrême droite autrichienne. Heinz-Christian Strache, le patron du parti de la Liberté (FPÖ), est devenu, lundi 18 décembre, le vice-chancelier du gouvernement de coalition du conservateur Sebastian Kurz. Les populistes autrichiens ont même obtenu trois ministères prestigieux : les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Défense.
C’est un président écologiste, Alexander Van der Bellen, qui a entériné la composition de ce gouvernement, le premier en plus de 10 ans auquel l’extrême droite est associée dans le pays.
“Erreur de jeunesse”
Car même si le FPÖ est l’un des partis populistes les plus puissants d’Europe (il a obtenu près de 26 % des voix aux élections du 15 octobre), il n’avait pas été au pouvoir depuis les expériences malheureuses de l’ère de Jorg Haider (2000-2006).
Les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ ne voulaient plus gouverner avec un parti aux idées xénophobes qui avait explosé en vol lors de son passage au pouvoir et reposait quasi-exclusivement sur la personnalité charismatique de son ancien leader, Jorg Haider.
Dankbar für diese Aufgabe! pic.twitter.com/uwr6BjIdYz
HC Strache (@HCStracheFP) 18 décembre 2017Le FPÖ revient de loin. Lorsque Heinz-Christian Strache prend la tête du mouvement en 2005, il est présenté comme une pâle copie de son prédécesseur, Jorg Haider, parti diriger une nouvelle formation (le BZÖ - Alliance pour l’avenir de l’Autriche), qui fera long feu. La star des populistes jugeait alors que le nouveau venu et sa clique était trop à droite. Et ce FPÖ privé de son leader historique dépasse péniblement les 10 % des votes en 2006.
Cerise sur le gâteau, le passé sulfureux de Heinz-Christian Strache le rattrape dès 2007. Il évite de justesse la mise à la retraite politique après la publication de photos qui le montrent en train de faire un salut qui vaut signe de reconnaissance dans les milieux néo-nazis. Un cliché qui lui aurait couté sa carrière dans de nombreux pays… mais pas en Autriche, où le chancelier social-démocrate de l’époque l'absout en déplorant simplement une erreur de jeunesse.
Machine de guerre bien huilée
C’est donc un rescapé politique aux accointances passées avec les milieux néo-nazis connus qui doit recoller les morceaux d’un FPÖ en miettes. Un tour de force qui lui prendra dix ans. Mais il ne part pas de rien. “L’un des avantages du départ de Jorg Haider a été que ceux qui sont restés étaient les plus motivés et loyaux”, souligne Wolfgang Müller, spécialiste de la politique autrichienne à l’Université de Vienne.
Une force sur laquelle Heinz-Christian Strache va capitaliser. Au fil des ans, “il a construit la formation politique la plus disciplinée en Autriche”, souligne Lore Hayek, docteur en sciences politiques à l’Université d’Innsbruck. Alors que l’ÖVP et le SPÖ sont régulièrement secoués par d’intenses luttes intestines, le FPÖ apparaît comme une machine de guerre bien huilée au service du message de son chef.
C’est l’autre force du mouvement : “Il est toujours resté fidèle à ses thématiques politiques”, affirme Wolfgang Müller. Ses deux mantras : la critique des partis au pouvoir et les attaques contre les immigrés. “Heinz-Christian Strache a su lier presque toutes les thématiques à l’immigration, qu’il s’agisse de l’éducation, de l’aide sociale ou encore du marché du travail”, souligne cet expert.
Roi des réseaux sociaux
Une grande fidélité aux origines du parti qui vaut au FPÖ la loyauté d’un noyau dur d’électeurs historiques. Mais le succès actuel du parti ne s’est pas construit uniquement sur cette base électorale somme toute limitée. “Le parti a su attirer un électorat nouveau, composé de jeunes, de fonctionnaires et d’employés”, note Lore Hayek. Pour ce faire, l’extrême droite autrichienne a avant tout changé sa stratégie de communication. Pour Heinz-Christian Strache, fini les provocations de l’époque Haider et les déclarations à l’emporte-pièce. Le ton est plus mesuré… presque centriste. Il a travaillé à faire du parti le roi des réseaux sociaux. “Heinz-Christian Strache est le politicien autrichien à avoir la plus importante communauté sur Facebook, et le parti a sa propre chaîne de télévision sur Internet”, énumère Wolfgang Müller. Résultat : le parti recueillait environ 30 % des intentions de vote des jeunes entre 20 et 30 ans.
Draguer de nouveaux électeurs sans froisser la base historique aura été l’un des grands succès de Heinz-Christian Strache. Mais la chance lui a aussi souri. “La crise migratoire en Europe collait parfaitement à son thème de prédilection”, rappelle Wolfgang Müller, tandis que “la montée des populismes en Europe, et la victoire des partisans du Brexit ont rendu le vote FPÖ beaucoup plus acceptable”, estime Lore Hayek. Même les conservateurs de l'ÖVP ont repris une partie des thèmes de campagne des populistes, achevant de banaliser leur discours.
Restait encore un obstacle à franchir : passer d’un mouvement qui excelle dans l’opposition à un parti de gouvernement. “C’est ce que Heinz-Christian Strache s’est attelé à faire depuis le début de la campagne, notamment en remplaçant petit à petit les références à l’immigration par la mise en avant de l’idée de ‘fairness (équité)’”, explique Lore Hayek. Un concept “fourre-tout” qui a permis au leader d’extrême droite de marteler que l’Autrichien de base n’était pas traité de manière juste par rapport à l’élite autrichienne ou encore par rapport aux immigrés. En somme, assure Lore Hayek, le succès du FPÖ s’est construit sur un programme très “trumpien” d’opposition entre le commun des Autrichiens et l’establishment.